Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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A maple leaf on graph paper

Office de la propriété intellectuelle du Canada

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

Référence : 2023 COMC 166

Date de la décision : 2023-09-29

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE D’UNE OPPOSITION

Opposante : Catherine Sidonio

Requérante : Chanel Limited

Demande : 1,915,752 pour CHANEL'S GABRIELLE

Introduction

[1] Catherine Sidonio (l’Opposante) s’oppose à l’enregistrement de la marque de commerce CHANEL’S GABRIELLE (la Marque) laquelle est l’objet de la demande no 1,915,752 déposée par Chanel Limited (la Requérante).

[2] La Marque est visée par la demande d’enregistrement en liaison avec les produits suivants (les Produits) de la Classe de Nice 18 fondée sur l’emploi au Canada depuis au moins aussi tôt qu’avril 2017 pour les produits (1) et sur l’emploi projeté au Canada pour les produits (2) :

[traduction]

Cl 18 (1) Sacs à main.

Cl 18 (2) Cuir et similicuir, peaux et cuirs bruts, bagages, sacs, nommément sacs de voyage, fourre-tout, sacs fourre-tout, sacs-pochettes, sacs polochons, portefeuilles de poche, sporrans, mallettes de toilette vides, mallettes, portefeuilles, sacs à main, porte-cartes de crédit, porte-cartes, sacs et étuis à maquillage, pochettes en tissu pour protéger les sacs à main, les ceintures et les chaussures, porte-clés en cuir, parapluies, parasols, vêtements pour animaux de compagnie, colliers pour animaux de compagnie, laisses pour chiens, cravaches, mallettes pour documents, ainsi que pièces et accessoires pour les produits susmentionnés.

[3] L’opposition est fondée sur divers motifs, lesquels sont principalement enracinés dans l’affirmation que la Marque crée de la confusion avec l’enregistrement de marque de commerce canadienne de l’Opposante no LMC1,012,358 pour la marque de commerce GABRIELLE (la Marque de commerce de l’Opposante), laquelle est enregistrée au Canada depuis le 8 janvier 2019 en liaison avec les produits suivants (les Produits de l’Opposante) :

[traduction]

Vêtements, nommément sorties de bain, robes, tuniques, cardigans, leggings, foulards, ceintures, tutus, pantalons, tee-shirts et chandails molletonnés; couvre-chefs, nommément chapeaux, foulards, casquettes, cache-oreilles; articles chaussants, nommément bottes, chaussures, pantoufles, tongs et mules; chasubles, combinaisons-pantalons, shorts, collants, jupes, maillots de bain, lingerie.

[4] Pour les raisons qui suivent, je rejette l’opposition.

Le dossier

[5] La Demande pour la Marque a été déposée le 20 août 2018 et a été annoncée aux fins d’opposition le 30 octobre 2019.

[6] Le 15 avril 2020, l’Opposante s’est opposée à la demande en produisant une déclaration d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13, dans sa version modifiée le 17 juin 2019 (la Loi).

[7] La Requérante a produit une contre-déclaration réfutant les motifs d’opposition.

[8] En appui à son opposition, l’Opposante a produit l’affidavit de Justine Sidonio, en date du 20 novembre 2020 (l’Affidavit Sidonio) et l’affidavit de D. Jill Roberts, en date du 19 novembre 2020 (l’Affidavit Roberts).

[9] En appui pour sa demande pour la Marque, la Requérante a produit des copies certifiées de sept enregistrements de marques de commerce canadiennes pour la marque de commerce CHANEL, des copies des certificats d’enregistrement pour deux enregistrements de marques de commerce canadiennes pour GABRIELLE CHANEL, l’affidavit d’Alexandre Ferraro exécuté le 19 juillet 2021 (l’Affidavit Ferraro), l’affidavit de Philippa Bailey exécuté le 8 juillet 2021 (l’Affidavit Bailey) et l’affidavit de Sachin Garg exécuté le 15 juillet 2021 (l’Affidavit Garg).

[10] Aucun des déposants n’a été contre-interrogé sur son affidavit.

[11] Les parties ont toutes deux produit des observations écrites et étaient présentes à l’audience.

Aperçu de la preuve de l’Opposante

Résumé de l’Affidavit Sidonio

[12] Mme Sidonio est la vice-présidente États-Unis/Canada de Molly Bracken, l’entreprise de design de mode de l’Opposante, et occupe le poste de dirigeante principale et vice-présidente de Molly US Corp, une société américaine qui mène les activités nord-américaines de Molly Bracken. Mme Sidonio occupe ce poste au sein de Molly Bracken depuis 2017 et est avec Molly Bracken dans d’autres fonctions depuis 2008. Par l’entremise de ces divers rôles, Mme Sidonio atteste posséder des connaissances de l’entreprise Molly Bracken de l’Opposante et de posséder de vastes connaissances sur l’industrie de la mode [Affidavit Sidonio, para 1 à 3].

[13] Dans son affidavit, Mme Sidonio atteste de ce qui suit :

  • L’entreprise Molly Bracken de l’Opposante conçoit et vend des collections de mode sous la marque maison MOLLY BRACKEN ainsi que d’autres marques de commerce, y compris la Marque de commerce de l’Opposante [para 6].

  • Les collections de Molly Bracken sont caractérisées par un mélange des styles bohème et rétro chic et sont disponibles dans plus de 5 000 emplacements partout dans le monde, en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Asie et en Amérique du Sud [para 7 et 8].

  • La Marque de commerce de l’Opposante, laquelle est enregistrée au Canada et partout dans le monde, a été introduite à l’origine pour les clients de taille forte, mais prend activement de l’expansion pour inclure des produits de toute taille [para 10, Pièces C et D].

  • La Marque de commerce de l’Opposante est employée au Canada en liaison avec de nombreux vêtements et produits de mode, y compris sorties de bain, robes, tuniques, cardigans, leggings, foulards, ceintures, pantalons, tee-shirts et chandails molletonnés; chapeaux, foulards, casquettes; chasubles, combinaisons-pantalons, shorts, collants, jupes, lingerie [para 13].

  • La Marque de commerce de l’Opposante figure sur les étiquettes cousues aux Produits de l’Opposante [para 17, Pièce F].

  • La Marque de commerce de l’Opposante est arborée sur les affiches de magasin dans les magasins de détail, habituellement sur des étagères ou sur les murs de magasins où les Produits de l’Opposante sont vendus [para 18, Pièce G].

  • Les produits arborant la Marque de commerce de l’Opposante sont arrivés pour la première fois dans le marché canadien en 2017. Les ventes des Produits de l’Opposante ont pris une importante expansion depuis et sont disponibles dans les magasins à rayons Hudson’s Bay partout au Canada ainsi qu’à de nombreux détaillants indépendants partout au Canada [para 20 et 21].

  • La promotion des Produits de l’Opposante dans le marché canadien est faite de plusieurs façons, y compris dans des coins des magasins Hudson’s Bay et au moyen de campagnes et de concours publicitaires Hudson’s Bay, ainsi que lors de salons professionnels (y compris au Canada), sur le site Web mollybracken.com et par des [traduction] « influenceurs » sur les médias sociaux [para 26 à 31].

  • La Requérante a tenté d’enregistrer la Marque au Royaume-Uni. Cette demande a fait l’objet d’une opposition par l’Opposante et a été refusée puisque l’emploi de la Marque créerait de la confusion avec la Marque de commerce de l’Opposante [para 33].

Résumé de l’Affidavit Roberts

[14] Mme Roberts est une auxiliaire juridique avec l’agent de l’Opposante qui a mené des recherches sur le site Web thebay.com de The Hudson’s Bay Company. Des captures d’écran des résultats de recherche pour les expressions suivantes sont jointes à l’Affidavit Roberts :

  • des sacs à main de cuir dans la catégorie [traduction] « pour femmes » [Pièce 1];

  • « Molly Bracken » [Pièce 2];

  • « Gabrielle » [Pièce 3];

  • [traduction] « Gabrielle pour femmes » [Pièce 4].

Aperçu de la preuve de la Requérante

Résumé de l’Affidavit Ferraro

[15] M. Ferraro est un avocat du Québec anciennement employé par l’agent de la Requérante. À la demande d’un avocat pour le cabinet d’agents de la Requérante, M. Ferraro a mené les recherches en ligne suivantes :

  • Une recherche dans la base de données des marques de commerce du Bureau canadien des marques de commerce pour trouver les marques de commerce qui sont composées d’un prénom avec des marques de commerce de différentes personnes qui comprennent le même prénom avec un autre nom pour l’emploi avec les vêtements [para 5]. Des copies des résultats de recherche sont jointes à titre de Pièce A.

  • Des recherches sur le site Web mollybracken.com de l’Opposante pour GABRIELLE, la page [traduction] « Note histoire » comportant des dates importantes dans l’histoire des différentes marques Molly Bracken, y compris GABRIELLE Molly Bracken et la section [traduction] « guide des tailles » qui arbore la marque GABRIELLE Molly Bracken [para 8 à 10; Pièces B à D].

  • Des recherches Internet pour le nom Gabrielle [para 11 à 15; Pièces E à H].

  • Des recherches Internet pour tente de trouver des sites Web qui indiquent que Gabrielle Chanel est la fondatrice de la maison de Chanel et des sites Web canadiens offrant en vente des livres sur Gabrielle Chanel [para 16 à 18; Pièces I et J].

  • Des recherches Internet pour des sites Web qui indiquent ou suggèrent que la marque de commerce CHANEL est une marque de commerce bien connue [para 19 et 20; Pièce K].

  • Une recherche sur google.com pour « gabrielle clothing Canada » [para 21 et 22; Pièce L].

Résumé de l’Affidavit Bailey

[16] Mme Bailey est l’avocate principale, Propriété intellectuelle pour la Requérante, un poste qu’elle occupe depuis juin 2020. Mme Bailey était précédemment l’avocate, Propriété intellectuelle pour la Requérante de 2015 à 2020. En raison de son poste au sein de la Requérante, Mme Bailey connaît les produits de la Requérante, leur image de marque et leur marketing et a accès aux dossiers pertinents à cette opposition [para 1 à 3].

[17] L’Affidavit Bailey contient ce qui suit :

  • Un historique de la Requérante et de sa fondatrice Mme Gabriel « Coco » Chanel, y compris des articles au sujet de Mme Chanel et des articles illustrant la notoriété et l’influence de Mme Chanel [para 5 à 12; Pièces 1 à 3].

  • Une description des produits Chanel et de l’emploi de la marque de commerce CHANEL, y compris des détails sur la fabrication des produits Chanel, le contrôle, les ententes de licence et la protection des marques de commerce de la Requérante [para 13 à 29; Pièce 4].

  • Le lancement, le marketing et les campagnes publicitaires pour les produits GABRIELLE CHANEL et GABRIELLE’S CHANEL [para 44 à 53; Pièces 13 à 18].

[18] Mme Bailey fournit également ce qui suit dans son affidavit :

  • Les chiffres de ventes mondiales et les dépenses médiatiques pour les divisions commerciales de la Requérante [para 30 et 31].

  • Les revenus mondiaux pour la Requérante [para 33; Pièce 5].

  • Une description des activités publicitaires de la Requérante au Royaume-Uni et dans le monde, y compris des publicités imprimées et numériques, des chaînes de médias sociaux et son site Web [para 34 à 39; Pièces 6 à 9].

  • Des publicités de tiers présentant les produits de la Requérante [para 40; Pièce 10].

  • Des détails sur la réputation de la Requérante, y compris des exemples d’articles de tiers et de classements de diverses sociétés d’enquête de la Requérante [para 41 à 43; Pièces 11 et 12].

Résumé de l’Affidavit Garg

[19] M. Garg est le vice-président, Finances de Chanel Canada ULC (Chanel Canada), un poste qu’il occupe depuis janvier 2018. Avant son poste actuel, M. Garg était employé par Chanel SARL, une entité Swiss Chanel, où il a occupé diverses postes à partir de 2012. En raison de ses postes actuels et passés, M. Garg affirme qu’il connaît les différents aspects de l’entreprise Chanel, y compris les ventes, la distribution, le marketing, la publicisation et la promotion des produits Chanel, et qu’il participe à la protection et à l’application des droits de propriété intellectuelle de la Requérante au Canada [para 1 et 2].

[20] M. Garg fournit un sommaire détaillé de ce qui suit :

  • L’entreprisse de la Requérante au Canada, y compris les types de produits Chanel offerts pour la vente au Canada avec les prix correspondants [para 6].

  • La façon dont les marques de commerce CHANEL (y compris la Marque) sont employées au Canada et la structure de licence pour l’emploi des marques de commerce CHANEL au Canada par Chanel Canada [para 7 à 17].

  • Les chiffres de ventes canadiennes pour les produits de marque Chanel pour les années 2014 à 2020, variant de 100 millions de dollars canadiens en 2014 à un sommet de 230 millions de dollars en 2019 [para 19 et 20].

  • Les activités publicitaires de la Requérante sur les médias sociaux concernant la marque de commerce CHANEL [para 22 à 25].

  • Les dépenses publicitaires de Chanel Canada pour les années 2012 à 2017, ainsi que du 1er janvier 2018 au 20 août 2018.

  • Des exemples de publicités des produits Chanel, y compris des sacs à main [Pièces F à J; para 27 à 31].

  • Des exemples d’articles de revues et de journaux de diverses publications canadiennes qui sont joints à titre de Pièce K [para 32].

  • Un sommaire du contexte et de l’historique de la Marque, une description de l’emploi de la Marque au Canada et les ventes annuelles canadiennes de sacs à main vendus en liaison avec la Marque pour les années 2017 à 2020 [para 35 à 42; Pièces N à Q].

  • Des copies d’extraits de billets de la presse canadienne, de médias sociaux et d’influenceurs arborant la Marque avant août 2018, inclusivement [para 43 à 45, Pièces S à U].

Les enregistrements de marques de commerce de la Requérante

[21] La Requérante a également soumis à titre de preuve ce qui suit :

  • des copies certifiée des enregistrements de marques de commerce canadiennes nos LMC569,181, LMC699,308, LMC797,085, LMCDF18468, LMC194,870 et LMC143,648, tous pour la marque de commerce CHANEL;

  • des certificats canadiens d’enregistrement pour les enregistrements de marques de commerce LMC1,094,503 et LMC1,038,675, les deux pour la marque de commerce GABRIELLE CHANEL.

Fardeau de preuve et fardeau ultime

[22] Conformément aux règles de preuve habituelles, l’Opposante a le fardeau de preuve initial d’établir les faits sur lesquels elle appuie les allégations formulées dans la déclaration d’opposition [John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd, 1990 CarswellNat 1053 (CF)]. L’existence d’un fardeau de preuve imposé à l’Opposante à l’égard d’une question donnée signifie que, pour que cette question soit prise en considération, il doit exister une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question [John Labatt, à la p 298].

[23] La Requérante a le fardeau ultime de démontrer que la demande d’enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi ainsi qu’il est allégué dans le cas des allégations à l’égard desquelles l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve. L’imposition d’un fardeau ultime à la Requérante signifie que, s’il est impossible d’arriver à une conclusion déterminante une fois que l’ensemble de la preuve a été examinée, la question doit être tranchée à l’encontre de la Requérante.

Questions préliminaires

Demande de permission de modifier la déclaration d’opposition

[24] Le 10 avril 2023, l’Opposante a produit une demande d’autorisation pour produire une déclaration d’opposition modifiée. Dans sa déclaration d’opposition modifiée, l’Opposante a demandé ce qui suit :

  • la correction d’une faute de frappe à son motif fondé sur l’article 16(1)b), à savoir le remplacement de l’expression [traduction] « de l’opposante » par « de la Requérante » pour faire référence à la demande en question dans cette procédure;

  • l’ajout du plaidoyer suivant à sa déclaration d’opposition :

[traduction]

L’Opposante fonde son opposition sur les motifs établis aux articles 38(2)c) et 16(1)a), puisque la marque visée par la demande crée de la confusion avec la marque de commerce GABRIELLE de l’Opposante indiquée aux présentes qui avait été précédemment employée au Canada ou révélée au Canada.

[25] Comme il a été indiqué lors de l’audience, la correction de la faute de frappe pour le motif fondé sur l’article 16(1)b) est refusée. L’Opposante n’était pas en mesure de s’acquitter de son fardeau de preuve pour le motif, peu importe s’il était modifié ou non, puisque la demande invoquée par l’Opposante précède l’enregistrement du 8 janvier 2019, ce qui précède la date d’annonce du 30 octobre 2019 de la Marque. L’Opposante a indiqué lors de l’audience qu’elle retirait le motif fondé sur l’article 16(1)b) et n’est donc plus nécessaire d’en tenir compte.

[26] En ce qui a trait à la demande de l’Opposante d’ajouter un nouveau motif fondé sur l’article 16(1)a), compte tenu des observations des deux parties, je suis d’accord avec la Requérante que cette demande a été faite trop tard dans les procédures, après la production de la preuve et des observations écrites des deux parties, sans aucune raison fournie par l’Opposante pour que la modification soit apportée à une étape si avancée. Par conséquent, l’autorisation demandée de modifier la déclaration d’opposition est refusée.

Admissibilité de la preuve de la Requérante

[27] L’Opposante s’est opposée à l’admissibilité de la preuve de la Requérante pour les raisons suivantes :

  • L’ensemble de l’Affidavit Ferraro est inadmissible, puisque M. Ferraro était un employé de l’agent de la Requérante qui avait reçu des instructions particulières concernant les recherches menées [observations écrites de l’Opposante, para 48].

  • L’Affidavit Bailey et l’Affidavit Garg introduisent des déclarations écrites hors cour affirmant fournir des renseignements sur la vie de Coco Chanel, sa notoriété et son influence et suggérant également que CHANEL est une marque de commerce bien connue, dont l’ensemble constitue du ouï-dire inadmissible [observations écrites de l’Opposante, para 46].

  • L’Affidavit Bailey et l’Affidavit Garg fournissent la preuve du nombre de visionnements de vidéos YouTube qui a simplement été obtenue du site Web YouTube [observations écrites de l’Opposante, para 47].

[28] En ce qui a trait à l’admissibilité de l’Affidavit Ferraro, bien qu’il soit vrai que M. Ferraro était un employé de l’agent de la Requérante lorsqu’il a mené les recherches Internet sous les instructions d’un avocat de l’agent de la Requérante, l’Affidavit Ferraro contient simplement une description de la manière et de la nature des recherches menées et joint des imprimés des résultats de ces recherches. L’Affidavit Ferraro ne contient aucune conclusion, opinion ou déclaration personnelle concernant l’espèce ou la preuve de M. Ferraro. Puisqu’il est plutôt habituel que les employés des agents pour une partie soumettent, sous forme d’affidavit, la preuve de l’état du registre et des résultats de recherches Internet, je n’estime pas que l’Affidavit Ferraro soit inapproprié ou inadmissible [voir Cross Canada Auto Body Supply (Windsor) Limited et al c Hyundai Auto Canada, 2005 CF 1254, 43 CPR (4th) 21; confirmée par 2006 CAF 133, 53 CPR (4th) 286]. Cependant, dans la mesure que l’Affidavit Ferraro contient une preuve par ouï-dire, de telles questions seront abordées par le poids accordé à la preuve.

[29] En ce qui a trait aux affidavits de M. Garg et Mme Bailey, je ne vois rien d’inapproprié qu’une partie produise la preuve de membres supérieurs employés par une partie ou entité connexe. Je suis d’accord avec la Requérante que, en raison de leurs postes, ainsi que la période pendant laquelle les déposants ont été employés par leurs employeurs respectifs, la preuve contenue dans les Affidavits Bailey et Garg est fondée sur leurs connaissances directes et personnelles du contenu de leur affidavit [observations écrites de la Requérante, para 23]. Dans la mesure que cela ne soit pas clairement le cas (comme le nombre de visionnements des vidéos YouTube soulevé par l’Opposante) la nature du ouï-dire de la preuve sera abordée comme question du poids à y accorder.

Évaluation des motifs d’opposition

12(1)d) – Enregistrabilité

[30] L’Opposante fait valoir que la Marque n’est pas enregistrable puisqu’elle crée de la confusion avec l’enregistrement de l’Opposante no LMC1,012,358 pour la marque de commerce GABRIELLE, laquelle a été enregistrée le 8 janvier 2019 en liaison avec les produits suivants (définis précédemment par les Produits de l’Opposante) :

[traduction]

(1) Vêtements, nommément sorties de bain, robes, tuniques, cardigans, leggings, foulards, ceintures, tutus, pantalons, tee-shirts et chandails molletonnés; couvre-chefs, nommément chapeaux, foulards, casquettes, cache-oreilles; articles chaussants, nommément bottes, chaussures, pantoufles, tongs et mules; chasubles, combinaisons-pantalons, shorts, collants, jupes, maillots de bain, lingerie.

[31] La date pertinente pour ce motif d’opposition est la date de la décision du registraire [Park Avenue Furniture Corp c Wickes/Simmons Bedding Ltd, (1991), 37 CPR (3d) 413 (CAF)].

[32] L’opposant s’acquitte du fardeau initial qui lui incombe à l’égard d’un motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d) si le les enregistrements invoqués étaient en règle à la date de la décision concernant l’opposition. J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire pour confirmer que l’enregistrement invoqué par l’Opposante existe toujours et appartient à l’Opposante [Quaker Oats Co Ltd of Canada c Menu Foods Ltd (1986), 11 CPR (3d) 410 (COMC)].

[33] Par conséquent, j’estime que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve. Je dois maintenant évaluer si la Requérante s’est acquittée de son fardeau ultime.

Test en matière de confusion

[34] Le test à appliquer pour trancher la question de la confusion est énoncé à l’article 6(2) de la Loi, qui prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice.

[35] Par conséquent, l’article 6(2) de la Loi ne concerne pas la confusion entre les marques de commerce elles-mêmes, mais celle entre des produits ou services d’une source qui sont considérés comme provenant d’une autre source. Essentiellement, la question en l’espèce est de savoir si un consommateur moyen, avec un souvenir imparfait de la Marque de commerce de l’Opposante, croirait que les produits contenus dans la demande la Marque proviennent de l’Opposante ou sont parrainés ou approuvés par elle.

[36] Dans l’application du test en matière de confusion, je dois tenir compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, y compris celles énumérées à l’article 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Ces critères ne sont pas exhaustifs et un poids différent sera accordé à différents facteurs selon le contexte [Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23]. Je cite également Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 où la Cour suprême du Canada déclare, au para 49, que l’article 6(5)e), la ressemblance entre les marques de commerce, est susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion.

Degré de ressemblance

[37] La Cour suprême du Canada a suggéré dans Masterpiece qu’une évaluation de la ressemblance entre les marques est là où la plupart des analyses relatives à la confusion devraient commencer. Si les marques ne se ressemblent pas, il est peu probable qu’une conclusion robuste relative aux autres facteurs puisse mener à une conclusion de l’existence d’une probabilité de confusion.

[38] Lorsqu’il s’agit de déterminer le degré de ressemblance, il est clair en droit que les marques de commerce doivent être considérées dans leur ensemble. Le test approprié n’est pas une comparaison côte à côte, mais un souvenir imparfait dans l’esprit d’un consommateur de la marque de commerce d’un opposant [Veuve Clicquot, au para 20]. La meilleure façon de comparer les marques de commerce consiste à déterminer d’abord si un aspect d’une marque de commerce est particulièrement frappant ou unique [voir Masterpiece, au para 64].

[39] En l’espèce, la Marque de commerce de l’Opposante est un prénom commun qui communique l’idée du prénom féminin typique ou d’une femme.

[40] Puisque la Marque comporte la Marque de commerce de l’Opposante, il existe nécessairement une certaine ressemblance dans la présentation et le son entre les marques de commerce des parties, Je note cela même si j’estime que l’élément le plus frappant ou unique de la Marque est le mot initial « CHANEL’S » ou la Marque dans son ensemble et pas le mot GABRIELLE. Cependant, les idées suggérées par les marques sont différentes, puisque je note que la Marque projette l’idée de quelque chose qui appartient à Chanel, ou qui est possédé par elle, ce qui est grandement différent de la Marque de commerce de l’Opposante, étant simplement un prénom commun.

[41] L’article 6(5)e) de la Loi indique clairement que l’ensemble de la présentation, du son et des idées suggérées par les marques de commerce en question doit faire l’objet de considérations dans l’évaluation du degré de ressemblance aux fins de l’analyse de la confusion. Puisqu’il des aspects importants et différents de l’évaluation du degré de ressemblance qui favorisent chacune des parties, je n’estime pas ce que facteur favorise l’une ou l’autre des parties.

Période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[42] L’Opposante affirme que les Produits de l’Opposante sont entrés dans le marché canadien au début de 2017 [observations écrites de l’Opposante, para 15, citant l’Affidavit Sidonio, para 23 à 25; Affidavit Sidonio, para 20]. La preuve de l’Opposant appuyant la date d’entrée dans le marché canadien concerne les expéditions d’échantillons des Produits de l’Opposante de SARL Groupe Chrono Import (une entreprise contrôlée par l’Opposante) en France à des agents de ventes au Canada en janvier 2017 [Affidavit Sidonio, para 20, Pièce H]. L’Opposante affirme que l’expédition des échantillons est un processus normal pour l’introduction de nouveaux produits dans un nouveau marché [Affidavit Sidonio, para 20]. Les Produits de l’Opposante semblent avoir été fournis sans frais, puisque le seul montant pécuniaire indiqué dans les documents d’expédition est le montant de la TVA facturé [Affidavit Sidonio, Pièce H].

[43] En général, la distribution gratuite d’échantillons arborant une marque de commerce ne constitue pas l’emploi de cette marque de commerce dans la pratique normale du commerce, excepté dans certaines circonstances [voir, par exemple, ConAgra Foods Inc c Fetherstonhaugh & Co (2002), 2002 CFPI 1257 (CanLII), 23 CPR (4th) 49 (CF 1re inst), où la distribution d’échantillons gratuits a été considérée comme une étape régulière dans la pratique normale du commerce dans l’industrie où la propriétaire de la marque de commerce cherche à développer un marché]. La jurisprudence appuie la perspective que la distribution gratuite d’un produit pourrait constituer un [traduction] « emploi » en vertu de l’article 4(1) si cela est fait en prévision d’obtenir des ventes du produit [voir 88766 Canada Inc c Spinnakers Brew Pub Inc (2005), 48 CPR (4th) 70 (COMC)]. Il doit cependant être démontré que la prestation d’échantillons fait partie d’une activité globale avec tous les ingrédients commerciaux nécessaires pour faire la vente ou le transfert des produits dans la pratique normale du commerce [Lin Trading Co c CBM Kabushiki Kaisha (1988), 1988 CanLII 9341 (CAF), 21 CPR (3d) 417].

[44] Les ingrédients commerciaux nécessaires pour faire de la vente ou du transfert d’échantillons une vente ou un transfert dans la pratique normale du commerce ont été abordés dans Association olympique canadienne c Pioneer Kabushiki Kaisha, (1992) 42 CPR (3d) 470, à la p 475 :

[traduction]

« Lorsque des échantillons sont expédiés d’une entreprise à son distributeur canadien en prévision d’expéditions régulières des produits à des fins de marketing, d’information et de promotion et qu’il s’agit de la pratique régulière des parties et lorsque le distributeur canadien reçoit alors des expéditions régulières des produits et fait des ventes commerciales des produits, j’estime que le transfert de la possession des échantillons de produits au distributeur canadien constitue l’emploi de la marque de commerce dans la pratique normale du commerce. Autrement dit, les faits dans cette affaire appuient la conclusion que le transfert des échantillons de produits fait partie du commerce des produits aux fins de l’acquisition d’achalandage et de profits des produits visés par la marque de commerce. Que les échantillons de produits eux-mêmes aient été éventuellement vendus n’est pas pertinent. À cet égard, on peut faire référence aux décisions prises dans Lin Trading Co c CBM Kabushiki Kaisha (1988), 1988 CanLII 9341 (CAF), 21 CPR (3d) 417 (CAF); conf par (1987), 1987 CanLII 8980 (CF), 14 CPR (3d) 32 (CF 1re inst); conf par (1985), 5 CPR (3d) 27 à la p 32 (COMC) et Argenti Inc c Exode Importations Inc (1984), 8 CPR (3d) 174 à la p 185 (CF 1re inst). » (mon soulignement)

[45] La Requérante observe que l’emploi précoce de 2017 de la Marque de commerce de l’Opposante est déficient, puisqu’il n’y a aucune indication que les échantillons des Produits de l’Opposante étaient [traduction] « en fait distribués aux détaillants ou aux consommateurs » [observations écrites de la Requérante, para 88]. J’estime que l’élément manquant dans la preuve de l’Opposante est l’absence de preuve que les agents des ventes qui ont reçu les échantillons des Produits de l’Opposante ont également subséquemment participé aux ventes commerciales normales des Produits de l’Opposante [voir Association olympique]. De plus, au moins l’une des commandes d’expédition à la Pièce H à l’Affidavit Sidonio indique clairement [traduction] « échantillons pour emploi interne, ne pas vendre; aucune valeur commerciale », ce qui suggère que ces échantillons des Produits de l’Opposante ne faisaient pas partie d’une quelconque chaîne de distribution de ventes.

[46] Je note également que la preuve de l’Opposante décrit sa chaîne d’approvisionnement comme suit :

[traduction]

[Les Produits de l’Opposante] pour le marché canadien sont fabriqués par un ou plusieurs des fabricants autorisés, au nom de Molly US Corp […] [Les Produits de l’Opposante] sont expédiés à l’installation de Molly US Corp à Delta, Colombie‑Britannique, d’où ils sont distribués aux détaillants au Canada [Affidavit Sidonio, para 16].

[47] J’estime que l’Opposante décrit ses activités commerciales standards dans la déclaration ci-dessus. Puisque cette déclaration ne fait aucune mention des [traduction] « agents des ventes » auxquels les échantillons gratuits ont été distribués au début de 2017, et pour les raisons établies ci-dessus concernant le moment auquel la distribution d’échantillons gratuits constitue [traduction] l’« emploi » d’une marque de commerce dans la pratique normale du commerce, je n’estime pas que la distribution d’échantillons gratuits par l’Opposante des Produits de l’Opposante constitue l’emploi de la Marque de commerce de l’Opposante.

[48] La preuve de l’Opposante comprend également des factures pour des commandes pour la fabrication des Produits de l’Opposante par les fabricants approuvés de l’Opposante en juillet et août 2017 [Affidavit Sidonio, para 21 et 22, Pièces J et K]. Bien que ces factures peuvent concerner la fabrication des Produits de l’Opposante, elles ne concernent pas [traduction] l’« emploi » de la Marque de commerce de l’Opposante au Canada comme le définit l’article 4 de la Loi et ne sont pas pertinentes aux fins de cette procédure.

[49] La preuve de ventes actuelles des Produits de l’Opposante au Canada se limite à l’exemple de bons de commande joints à titre de Pièce K-1 à l’Affidavit Sidonio, ainsi qu’à la déclaration de Mme Sidonio que plus de 60 000 unités des Produits de l’Opposante ont été vendues aux détaillants au Canada depuis 2017 [Affidavit Sidonio, para 26]. Chacun des bons de commande joints à l’Affidavit Sidonio ont tous les renseignements relatifs aux prix absents ou caviardés et le lieu et l’entité d’origine de l’expédition des produits ne sont pas clairs et, dans la plupart des cas, le moment aussi, bien que les conditions des bons de commande indiquent Molly Bracken US Corp et le [traduction] « Vendeur ».

[50] Bien que la preuve de l’Opposante concernant l’emploi de la Marque de commerce de l’Opposante au Canada ne soit pas particulièrement claire, l’Affidavit contient la déclaration de Mme Sidonio, non remise en question, que plus de 60 000 unités des Produits de l’Opposante ont été vendues aux détaillants au Canada depuis 2017 [Affidavit Sidonio, para 25]. J’estime donc que la date la plus avancée de premier emploi pour la Marque de commerce de l’Opposante au Canada est en 2017, bien que le moment exact en 2017 ne soit pas clair [Affidavit Sidonio, para 24, Pièce K‑1].

[51] La preuve de la Requérante établit l’emploi de la Marque au Canada avec des sacs à main en avril et novembre 2017 et en juillet 2018. Bien que la Marque ne figure pas sur les factures, le numéro de modèle pour les Produits figurant sur les factures de ventes est le même numéro de modèle qui figure sur les étiquettes fixées sur les sacs à main arborant la Marque sur les étiquettes fixées [Affidavit Garg, Pièces R et Q]. Je suis donc convaincue que les factures démontrent des ventes des Produits à des clients au Canada et, par conséquent, constituent la preuve d’emploi de la Marque au Canada.

[52] Puisque j’estime que la preuve démontre que la Requérante et l’Opposante ont toutes deux commencé à employer leurs marques de commerce respectives au Canada en 2017, je n’estime pas que l’une ou l’autre des parties est favorisée par ce facteur.

Caractère distinctif inhérent et acquis

[53] La Marque de commerce de l’Opposante est composée uniquement du prénom « Gabrielle ». Les marques de commerce composées de prénoms sont considérées comme possédant un caractère inhérent faible et, par conséquent, des différences comparativement petites suffiront pour distinguer des marques faibles [voir Sarah Coventry Inc c Abrahamian (1984), 1 CPR (3d) 238 (CF) à la p 240; Joseph Ltd c XES‑NY Ltd (2005), 44 CPR (4th) 314 (COMC), Prince Edward Island Mutual Insurance Co c Insurance Co of Prince Edward Island (1999), 86 CPR (3d) 342 (CF) aux para 32 à 34; Provigo Distribution Inc c Max Mara Fashion Group SRL (2005), 46 CPR (4th) 112 (CF), au para 31; Boston Pizza International Inc c Boston Chicken Inc (2001), 15 CPR (4th) 345 (CF), au para 66].

[54] Il a également été affirmé qu’une partie qui adopte une marque de commerce faible accepte un certain risque de confusion [General Motors c Bellows (1949), 10 CPR 101, aux p 115 et 116 (CSC)].

[55] La Marque contient également le prénom « Gabrielle » ainsi que le nom de famille « Chanel », avec les noms de famille étant également considérés comme ayant un caractère inhérent faible [Sarah Coventry]. Cependant, la Marque dans son ensemble est établie dans une forme possessive quelque peu unique qui accorde à la Marque un certain degré de caractère distinctif inhérent qui dépasse celui d’un simple prénom ou nom de famille ou d’une combinaison complète d’un prénom et d’un nom de famille. Par conséquent, la Marque possède un niveau légèrement plus élevé de caractère distinctif que celui de la Marque de commerce de l’Opposante.

[56] En ce qui a trait au caractère distinctif acquis, comme il en a été question ci‑dessus, la preuve suggère que l’emploi de la Marque au Canada a commencé en avril 2017 alors que celui de la Marque de commerce de l’Opposante a commencé à une date indéterminée en 2017. La preuve d’emploi au Canada de la Marque de commerce de l’Opposante est limitée, avec l’Opposante fournissant simplement des ventes unitaires cumulatives des Produits de l’Opposante depuis 2017 (soit 60 000 unités), les détails des activités publicitaires et promotionnelles, y compris les affiches dans les magasins à rayons, les concours, les publicités en ligne, y compris les médias sociaux et les influenceurs de médias sociaux et les présences à des salons professionnels [observations écrites de l’Opposante, para 15 et 16, Affidavit Sidonio, para 25].

[57] Cependant, l’Opposante n’a produit aucune preuve de dépenses publicitaires, annuelles ou autres, et elle n’a produit aucune preuve de revenus liés aux ventes au Canada pour une quelconque période pour laquelle les Produits de l’Opposante étaient vendus au Canada.

[58] La Requérante a fourni la preuve couvrant l’historique de la marque de commerce CHANEL, laquelle est employée au Canada depuis au moins aussi tôt que 1943 en liaison avec les parfums, les vêtements et les bijoux [observations écrites de la Requérante, para 27].

[59] Cependant, ce n’est pas la marque de commerce CHANEL qui est en question dans ces procédures et bien que le vaste emploi de la marque maison CHANEL de la Requérante puisse être une circonstance de l’espèce pertinente à l’analyse de la confusion, cela n’est pas pertinent pour l’évaluation du caractère distinctif acquis de la Marque elle-même [Sealy Canada Ltd c Simmons Canada Inc, 2012 COMC 63]. Je me concentrerai donc sur la preuve portant particulièrement sur l’emploi de la Marque. À cet égard, la Requérante a fourni les chiffres de ventes annuelles suivantes pour les Produits au Canada [Affidavit Garg, para 42] :

 

 

Ventes canadiennes des sacs à main CHANEL’S GABRIELLE

Année

2017

2018

2019

2020

Valeur des ventes excluant les taxes en dollars canadiens

4 500 000

7 500 000

9 000 000

5 000 000

[60] Bien que la Requérante ait fourni les détails des dépenses publicitaires pour les produits Chanel, aucune ventilation indiquant la part de ces dépenses particulièrement associée à la Marque n’est fournie [Affidavit Garg, para 26]. Par conséquent, il n’est pas possible d’appliquer cette preuve particulièrement à l’évaluation du caractère distinctif acquis de la Marque.

[61] La Requérante a également produit des exemples de la Marque étant diffusée sur les médias sociaux, dans la presse et par des blogueurs et des influenceurs, toutefois aucun détail n’est fourni quant aux chiffres de circulation pour l’une des campagnes publicitaires et promotionnelles particulièrement associées à la Marque [Affidavit Garg, para 43 à 45, Pièces S, T et U].

[62] Bien que la preuve produite par les deux parties soit volumineuse, aucune des parties n’a produit de preuve exhaustive démontrant clairement un niveau élevé de caractère distinctif acquis pour les marques de commerce en question. En bout de compte, j’estime que ce facteur favorise légèrement la Requérante compte tenu du niveau élevé de caractère distinctif inhérent de la Marque et les chiffres de revenus liés aux ventes canadiennes annuelles plus détaillés fournis qui appuient une conclusion d’un niveau plus élevé de caractère distinctif inhérent que la preuve concernant la Marque de commerce de l’Opposante le démontre.

Genre des produits et d’entreprise

[63] Lorsqu’on examine ce facteur dans l’évaluation de la confusion, c’est l’état déclaratif des produits, tel que défini dans l’enregistrement invoqué par l’Opposante, et l’état déclaratif des produits dans la demande qui régissent l’évaluation de la probabilité de confusion [Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien c Super Dragon Import Export Inc (1986), 12 CPR (3d) 110 (CAF); Mr Submarine Ltd c Amandista Investments Ltd (1987), 19 CPR (3d) 3 (CAF)].

[64] L’Opposante affirme que les produits des parties [traduction] « sont tous des articles à porter ou à transporter sur une personne », que les consommateurs peuvent [traduction] « s’attendre avec raison qu’une seule entreprise peut assurer la fabrication et la vente de l’ensemble de ces produits » et que, par conséquent, les probabilités sont accrues qu’un consommateur conclurait que de tels produits arborant soit la Marque de commerce de l’Opposante, soit la Marque proviendraient de la même source [observations écrites de l’Opposante, para 64].

[65] Pour sa part, la Requérante affirme que la preuve établit que ses produits sont des articles de luxe et de haute couture, alors que la preuve de l’Opposante établit que les Produits de l’Opposante sont des [traduction] « produits généraux de faible coût destinés au marché de masse » [observations écrites de la Requérante, para 97]. La Requérante suggère également que la liaison de la Marque de commerce de l’Opposante à l’image de marque MOLLY BRACKEN de l’Opposante distinguerait davantage les Produits de la Requérante de ceux de l’Opposante [observations écrites de la Requérante, para 103].

[66] Je n’estime pas que le fait que les Produits sont en général considérés comme des produits de luxe appuie la Requérante dans l’évaluation de ce facteur, puisqu’il n’y a aucune restriction sur les Produits dans la demande pour la marque ou exclusion des articles de luxe dans l’état déclaratif des produits de l’enregistrement pour la Marque de commerce de l’Opposante.

[67] De plus, je suis d’accord que les sacs de la Requérante et les autres produits sont des accessoires qui chevauchent les produits de vêtement de l’Opposante ou qui y sont étroitement liés.

[68] Le reste des observations de la Requérante à l’égard de ce facteur se concentre sur la jurisprudence qui, selon les affirmations de la Requérante, représente des situations semblables à l’espèce, où la différence entre les produits des parties était faite, entre autres, entre les produits de luxe et non de luxe, ainsi que le type de client ciblé par les parties [observations écrites de la Requérante, para 98 à 103]. J’estime que ces affaires appuient peu, ou pas, la Requérante. Ni l’état déclaratif des produits dans l’enregistrement pour la Marque de commerce de l’Opposante ni l’état déclaratif des produits dans la demande pour la Marque ne contient une quelconque limitation de la qualité ou des prix des produits énumérés (c.-à-d. de luxe, budget, quotidien, habituel et semblable). Par conséquent, bien que l’Opposante ne cible peut-être pas présentement le marché de haut de gamme ou de luxe, l’enregistrement pour la Marque de commerce de l’Opposante est suffisamment large pour couvrir les produits de tout prix ou de toute qualité.

[69] Enfin, le fait que l’Opposante peut présentement employer sa marque de commerce en liaison avec une autre de ses marques de commerce n’atténue pas les droits accordés à l’Opposante en vertu de l’enregistrement pour la Marque de commerce de l’Opposante, étant le droit exclusif à l’emploi de la marque de commerce déposée au Canada avec les produits établis dans celle-ci, peu importe si cette marque de commerce est employée en liaison avec d’autres marques de commerce et peu importe les prix des produits également.

[70] Dans l’ensemble, j’estime que ce facteur favorise l’Opposante.

Nature du commerce

[71] L’Opposante affirme que des produits comme ceux associés aux marques de commerce respectives des parties sont régulièrement diffusés dans les mêmes voies de commercialisation et que la preuve démontre que les Produits de l’Opposante (étant des vêtements, des couvre-chefs et des chaussures) et les Produits de la Requérante (étant, entre autres, des sacs à main) sont tous disponibles dans des magasins de détail comme The Bay [observations écrites de l’Opposante, para 65]. Bien que l’Opposante reconnaisse que les sacs à main CHANEL de la Requérante vendus à The Bay ne sont pas particulièrement ceux qui sont associés à la Marque, l’Opposante fait valoir que cette preuve démontre qu’il [traduction] « s’agit d’une distincte possibilité » que les Produits associés à la Marque puissent également être vendus dans les mêmes magasins que les Produits de l’Opposante [observations écrites de l’Opposante, para 65].

[72] Pour sa part, la Requérante affirme que les parties mènent leurs activités dans des voies de commercialisation différentes en raison du fait que les Produits de la Requérante sont des produits de luxe qui sont seulement vendus dans : i) les magasins de marque CHANEL exploités par Chanel Canada; ii) les boutiques de marque CHANEL exploitées par Chanel Canada des dans des magasins de détail de tiers; iii) les comptoirs de marque CHANEL dans des magasins de détail de tiers exploités soit par Chanel Canada, soit par un détaillant autorisé; et iv) des magasins de détail autorisés de tiers [observations écrites de la Requérante, para 93 et 96, Affidavit Garg, para 9]. Je note que la dernière voie de commercialisation, étant les tiers détaillants autorisés, est particulièrement pertinente compte tenu de son étendue et je ne vois rien dans la preuve suggérant que de tels tiers détaillants ne peuvent pas également être des détaillants des Produits de l’Opposante [Affidavit Garg, para 9].

[73] Je ne considère pas que le fait que les consommateurs potentiels de la Requérante pourraient être des consommateurs plus riches ou sophistiqués d’articles de luxe atténue le potentiel de confusion. Le test de la confusion, comme il est confirmé dans Masterpiece, para 68 à 74, en est un de la première impression et du souvenir imparfait d’un consommateur moyen quelque peu pressé. J’estime qu’un tel consommateur, au moment d’apercevoir la Marque, ne penserait pas immédiatement, à la première impression, à des articles exclusivement de haut de gamme ou de luxe, excluant ainsi les produits des marchés à prix plus faibles. Par conséquent, je suis d’accord avec l’Opposante que les voies de commercialisation des parties se chevaucheraient probablement.

[74] Par conséquent, je conclus que ce facteur favorise l’Opposante.

Circonstance de l’espèce – Marques de commerce bien connues et célèbres

[75] J’estime que le caractère distinctif acquis de la marque de commerce CHANEL de la Requérante constitue une circonstance de l’espèce pertinente. La Requérante a produit une preuve considérable concernant l’emploi et la promotion de la marque de commerce CHANEL au Canada et à l’étranger au moyen des Affidavits Garg et Bailey, y compris :

  • Un historique d’emploi de la marque de commerce CHANEL au Canada qui a débuté en 1943 avec les parfums, les vêtements et les bijoux de marque CHANEL. L’emploi de la marque de commerce CHANEL au Canada s’est étendu aux produits de maquillage et de soins de la peau en 1984, aux chaussures, aux sacs à main et aux petits produits de cuir en 1989 et aux lunettes en 1992 [Affidavit Garg, para 8].

  • Les ventes de sacs à main au Canada dépassent 400 millions de dollars entre 2012 et 2018 [Affidavit Garg, para 20].

  • De nombreux classements de la marque CHANEL la plaçant comme l’une des principales marques mondiales pour les années 2016 à 2020 [Affidavit Bailey, para 43].

  • Les chiffres de ventes mondiales pour les produits parfumés et de beauté associés à la marque de commerce CHANEL dépassant 2 milliards de dollars américains en 2011 et 2012 et dépassant 3 milliards de dollars américains annuellement de 2013 à 2017 [Affidavit Bailey, para 30].

  • Les chiffres de ventes mondiales pour les produits de mode (incluant les sacs à main, mais excluant la haute couture) dépassant 4 milliards de dollars américains en 2011 et 2012 et dépassant 5 milliards de dollars américains annuellement de 2013 à 2017 [Affidavit Bailey, para 30].

  • Des dépenses médiatiques mondiales dépassant 7 milliards de dollars américains en 2011, 2012 et 2013, dépassant 8 milliards de dollars américains en 2014, 2015 et 2016 et plus de 9 milliards de dollars en 2017 [Affidavit Bailey, para 31].

  • Les détails des voies de publicisation mondiales, y compris des revues, des publicités numériques, les médias sociaux, le site Web chanel.com et les spectacles de mode tous présentant la marque de commerce CHANEL [Affidavit Bailey, para 34 et 35].

[76] Je note également que l’Opposante elle-même a produit une preuve qui reconnaît la [traduction] « notoriété mondiale » de la marque CHANEL [Affidavit Sidonio, para 32].

[77] Selon la preuve versée au dossier, j’estime que la marque de commerce CHANEL est plutôt bien connue au Canada en liaison avec les vêtements, les accessoires (comme les bourses, les porte-monnaie et les chaussures) et les produits cosmétiques, y compris les parfums. J’estime que la réputation de la marque de commerce CHANEL, étant l’élément initial de la Marque sous la forme possessive, aiderait les consommateurs à distinguer l’origine des produits associés à la Marque. J’estime donc qu’il s’agit d’une circonstance de l’espèce qui favorise fortement la Requérante [voir Smart Cloud Inc c International Business Machines Corporation, 2019 COMC 78 pour une conclusion semblable].

Circonstances de l’espèce – État du registre et coexistence dans le marché

[78] La Requérante a produit la preuve de l’état du Registre canadien des marques de commerce démontrant la coexistence des marques de commerce composées de prénoms avec d’autres marques qui contiennent le même prénom avec un nom de famille ou un autre élément nominal; par exemple, les marques de commerce LAURA et LAURA ASHLEY sons toutes deux enregistrées au Canada avec des produits qui se chevauchent (vêtement) et appartiennent à différentes entités [Affidavit Ferraro, para 6]. La Requérante semble affirmer que l’emploi des prénoms ou des noms de famille est très répandu dans l’industrie de la mode.

[79] Que cela soit vrai ou non, cela ne constitue pas un argument contre une probabilité de confusion [voir Swimwear Anywhere Inc c Roxanne Nikki Designs Inc 2008 CanLII 88296 (COMC)].

Peu importe, puisque les marques de commerce en question en l’espèce contiennent, ou en sont formées, des noms (prénoms et noms de famille) qui possèdent déjà un faible caractère distinctif inhérent, il n’est pas surprenant que le registre contienne de nombreux exemples de divers prénoms seuls et des mêmes prénoms associés avec différents noms de famille.

[80] La preuve de la Requérante comprend également deux enregistrements contenant une version du nom GABRIELLE en liaison avec des produits semblables à ceux des parties, à savoir LMC864,426 pour GABRIELLA & Dessin et l’enregistrement LMC747,027 pour GABRIELLA ROCHA, les deux ayant des propriétaires différents [Affidavit Ferraro, para 6]. J’estime que deux enregistrements ne sont pas suffisants pour tirer des conclusions quant à l’étendue à laquelle le nom GABRIELLE, ou les variations de ce nom, est commun dans les marques de commerce pour les vêtements et les accessoires au Canada. Étant donné qu’un nombre important d’enregistrements pertinents n’a pas été trouvé [voir Ports International Ltd c Dunlop Ltd (1992), 41 CPR (3d) 432 (COMC); Welch Foods Inc c Del Monte Corp (1992), 44 CPR (3d) 205 (CF 1re inst); et Maximum Nutrition Ltd c Kellogg Salada Canada Inc (1992), 1992 CanLII 14792 (CAF), 43 CPR (3d) 349 (CAF)], l’état du registre ne favorise pas la Requérante.

[81] En ce qui a trait à la preuve de l’état du marché, la Requérante observe que l’Affidavit Ferraro [traduction] « relève des marques de tiers formées de GABRIELLE au Canada ou sur des sites Web accessibles aux Canadiens associées aux vêtements et aux maillots de bain ou à des services de détail connexes ». La Requérante observe également qu’elle a démontré [traduction] « un degré de coexistence parmi les marques de commerce formées de “GABRIELLE” » grâce aux recherches Internet pour les marques de commerce ou les noms commerciaux au Canada associés aux vêtements ou à la vente de vêtements autres que par la Requérante ou l’Opposante et les entités associées à l’Opposante [observations écrites de la Requérante, para 114, Affidavit Ferraro, para 21 et 22, Pièce L].

[82] Comme il a été indiqué ci-dessus dans la section des Questions préliminaires – Admissibilité de la preuve de la Requérante, peu de poids peut être accordé à l’Affidavit Ferraro en raison de la nature du ouï-dire de la preuve qu’il contient. Autres que les questions du ouï-dire, la Pièce L de l’Affidavit Ferraro, dans le meilleur des cas, suggère qu’il y a moins de cinq magasins de vêtements au Canada contenant le mot « gabrieconclulle » dans leur nom, tous situés dans la province de Québec. Je n’aurais pas conclu que cette preuve peut avoir grandement aidé la Requérante, puisque les imprimés de pages Web n’établissent pas la mesure dans laquelle les consommateurs canadiens connaissent ces magasins de vêtements. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de conclure qu’il existe un emploi commun de l’élément GABRIELLE de sorte que je puisse en déduire que les consommateurs ont l’habitude de distinguer les marques comprenant cet élément en portant une plus grande attention aux différences entre celles-ci [Advance Magazine Publishers Inc c Farleyco Marketing Inc Eyeglasses 2009 CF 153, au para 78].

[83] Par conséquent, il ne s’agit pas d’une circonstance de l’espèce qui favorise la Requérante.

Circonstance de l’espèce – Enregisrement antérieur de GABRIELLE CHANEL

[84] La Requérante fait valoir que son enregistrement de marque de commerce canadienne (LMC1,094,503) pour GABRIELLE CHANEL en liaison avec, entre autres, les sacs à main, est une circonstance de l’espèce qui favorise la Requérante [observations écrites de la Requérante, para 14, 112 et 113].

[85] Afin d’appuyer cette observation, la Requérante invoque Caesarstone Sdot-Yam Ltd c Ceramiche Caesar SPA, 2016 CF 895, où la Cour fédérale a soutenu qu’une demande pour la marque de commerce CAESARSTONE & Dessin associée à des services aurait dû être considérée comme une extension d’un enregistrement antérieur pour la marque nominale CAESARSTONE couvrant des produits, plutôt que le départ de cet enregistrement antérieur. J’estime que cette affaire se distingue de l’espèce puisque la Cour fédérale abordait le fait que les services dans la demande en instance étaient une extension des produits contenus dans l’enregistrement antérieur et pas qu’un enregistrement antérieur couvrant des produits qui se chevauchent renforce d’une certaine façon le caractère ou l’enregistrabilité d’une marque de commerce semblable, mais notamment différente, déposée par le même propriétaire.

[86] La Requérante semble affirmer que son enregistrement antérieur de GABRIELLE CHANEL avec des produits qui chevauchent ceux dans la demande pour la Marque appuie d’une certaine façon la Requérante pour obtenir un enregistrement pour la Marque. Cependant, l’article 19 de la Loi n’accorde pas au propriétaire d’un enregistrement le droit automatique d’obtenir d’autres enregistrements, peu importe à quel point ils sont associés à un enregistrement antérieur [voir Benjamin Moore & Co c Home Hardware Stores Limited, 2013 COMC 41 (CanLII), au para 23]. Par conséquent, je n’estime pas qu’il s’agisse d’une circonstance de l’espèce qui profite à la Requérante.

Circonstance de l’espèce – Aucune preuve de confusion réelle

[87] La Requérante fait valoir que malgré l’allégation de l’Opposante [traduction] « d’un emploi et d’une promotion étendus de sa marque GABRIELLE au Canada », l’Opposante n’a pas fait valoir ou démontré un cas de confusion réelle entre la Marque et la Marque de commerce de l’Opposante [observations écrites de la Requérante, para 115].

[88] Bien que l’Opposante n’ait aucune obligation de produire une preuve de confusion réelle, le défaut de produire une telle preuve face à une vaste période de coexistence peut entraîner une conclusion négative [voir Mattel Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22]. Cependant, je ne suis pas convaincue que le défaut de l’Opposnte de produire une preuve de confusion réelle favorise la Requérante puisque la preuve des ventes des produits de deux parties se limite à quelques années.

[89] Cela n’est donc pas une circonstance de l’espèce avec une importance significative.

Circonstance de l’espèce – Jurisprudence relative aux marques de commerce faibles

[90] La jurisprudence relative aux marques de commerce faibles favorise de la Requérante. Des différences relativement petites suffiront à distinguer des marques faibles les unes des autres [Boston Pizza International Inc C Boston Chicken Inc (2001), 2001 CFPI 1024, 15 CPR (4th) 345 (CF 1re inst) au para 66]. Dans la décision Provigo Distribution Inc c Max Mara Fashion Group SRL, 2005 CF 1550 (CanLII) le juge de Montigny a expliqué :

Comme les deux marques en elles-mêmes sont faibles, il est juste d’affirmer que même de petites différences suffiraient à les différencier. S’il en était autrement, le premier utilisateur de termes couramment employés se verrait conférer injustement un monopole de ces termes. Les tribunaux ont également justifié cette conclusion en affirmant qu’on s’attend à ce que le public soit plus prudent lorsque des noms commerciaux faibles comme ceux-ci sont employés […]

[91] J’estime que les différences entre les marques de commerce des parties, à savoir que la Marque de commerce de l’Opposante est composée exclusivement d’un prénom commun alors que la Marque comprend l’élément CHANEL’S qui n’est pas simplement un nom de famille reconnaissable, mais un nom de famille comme élément initial de la Marque dans une forme possessive, sont des facteurs qui aideraient les consommateurs à distinguer ces deux marques de commerce [voir McSheep Investments Ltd (anciennement Telpo Investments Inc) c Hemingway Ltd, 2021 COMC 58 à la p 74 pour un raisonnement semblable].

[92] De plus, une partie qui adopte une marque de commerce faible est réputée accepter un certain risque de confusion [General Motors c Bellows (1949), 1949 CanLII 47 (CSC), 10 CPR 101, aux p 115 et 116 (CSC)]. Bien que la protection accordée à une marque de commerce augmente si elle a acquis un caractère distinctif, la preuve n’appuie pas une conclusion que la Marque de commerce de l’Opposante a acquis un degré de caractère distinctif qui étend de façon importante sa protection.

Conclusion

[93] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la prépondérance des probabilités en ce qui concerne la question de la confusion favorise légèrement la Requérante. J’arrive à cette conclusion en reconnaissant qu’il existe un chevauchement important des facteurs aux articles 6(5)c) et d) de la Loi. Également, bien qu’il y ait nécessairement un degré de ressemblance significatif entre les marques des parties, j’estime que l’inclusion de l’élément initial CHANEL’S dans la Marque a une incidence importante sur les idées suggérées par la Marque et qu’elle indiquerait clairement au consommateur moyen que la source des Produits est la Requérante. J’estime également que la jurisprudence sur les marques de commerce faibles favorise la Requérante, puisque la preuve d’emploi de l’Opposante est limitée et n’étend pas la protection attribuable à sa marque de commerce.

[94] Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d) est rejeté.

38(2)d) – Absence de caractère distinctif

[95] En vertu de l’article 38(2)d) de la Loi, l’Opposante fait valoir que la Marque ne distingue pas, et n’est pas adaptée pour distinguer, les Produits de la Requérante de ceux de l’Opposante en liaison avec la Marque de commerce de l’Opposante.

[96] La date pertinente à l’égard de ce motif d’opposition est la date de production de la déclaration d’opposition, à savoir le 15 avril 2020 [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc, 2004 CF 1185].

[97] Si la Requérante a le fardeau ultime de démontrer que la Marque est adaptée pour distinguer, ou distingue véritablement, les Produits de ceux des autres partout au Canada, l’Opposante doit, quant à elle, s’acquitter du fardeau de preuve initial d’établir les faits invoqués à l’appui du motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif [voir Muffin Houses Incorporated c The Muffin House Bakery Ltd (1985), 4 CPR (3 d) 272 (COMC)].

[98] Afin de s’acquitter de son fardeau à l’égard de ce motif, l’Opposante doit démontrer que la réputation de sa marque de commerce empêche la Marque d’être distinctive et le niveau requis d’emploi doit être [traduction] « important, significatif » ou constituer une [traduction] « réputation suffisante » en liaison avec les produits et services pertinents à la date pertinente [Hilton Worldwide Holding LLP c Solterra (Hastings) Limited Partnership, 2019 COMC 133 citant Bojangles' International, LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657].

[99] En l’espèce, bien que l’Opposante ait produit une certaine preuve d’emploi de la Marque de commerce de l’Opposante au Canada, la preuve est plutôt limitée avec la preuve d’emploi véritable la plus ancienne étant un point quelconque en 2017. Les quatre bons de commande pour ces ventes à des entreprises en Ontario soit ne contenaient aucun prix ou montant total de la vente, soit avaient de tels renseignements caviardés [Affidavit Sidonio, Pièce K-1]. L’Opposante n’a produit aucune preuve concernant la valeur des articles vendus au Canada, annuellement ou autre, et n’a produit aucune preuve à l’égard des dépenses publicitaires. J’estime que la preuve de l’Opposante ne démontre pas le niveau requis d’emploi important ou significatif ou de réputation suffisante au Canada pour lui permettre de s’acquitter de son fardeau pour ce motif.

[100] À la lumière de ce qui précède, je rejette ce motif d’opposition.

38(2)e) – Droit à l’enregistrement

[101] En vertu de l’article 38(2)e) de la Loi, l’Opposante fait valoir que la Requérante n’employait pas la Marque et ne projetait pas d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Produits à la date de dépôt de la demande du 20 août 2018.

[102] L’article 38(2)e) de la Loi est libellé comme suit :

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

[…]

e) à la date de production de la demande au Canada […] le requérant n’employait pas ni ne projetait d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les produits ou services spécifiés dans la demande;

[103] La date pertinente pour ce motif est donc la date de dépôt de la demande.

[104] Les principes établis dans les affaires concernant l’ancien motif d’opposition fondé sur l’article 30e), quant à savoir si un requérant avec l’intention de bonne foi d’employer la marque de commerce au Canada, sont instructifs à l’égard de ce nouveau motif. Comme pour l’ancien motif fondé sur l’article 30e), puisque les faits pertinents sont plus accessibles au requérant, et particulièrement relevant de ses connaissances, dans le cadre d’un motif d’opposition fondé sur l’article 38(2)e), le fardeau de preuve imposé à un opposant à l’égard de ce motif est léger et la quantité de preuves nécessaire pour s’en acquitter peut être très faible [Allergan Inc c Lancôme Parfums & Beauté & Cie, société en nom collectif (2007), 64 CPR (4th) 147 (COMC); Canadian National Railway c Schwauss (1991), 35 CPR (3d) 90 (COMC); Green Spot Co c John M Boese Ltd (1986), 12 CPR (3d) 206 aux p 210 et 211 (COMC)].

[105] Les arguments de l’Opposante à l’égard de ce motif sont doubles puisque la demande pour la Marque était fondée à la fois sur l’emploi (avec les Produits (1)) et l’emploi projeté (avec les Produits (2)). Par conséquent, l’Opposante a affirmé que la Requérante n’avait pas employé la Marque avec les Produits (1) à la date de dépôt et également que la Requérante n’avait pas l’intention d’employer la Marque avec les Produits (2) à la date de dépôt.

[106] En ce qui a trait aux Produits (1), l’Opposante n’a fait aucune observation directe à l’égard de ce motif ou plus particulièrement quant à la façon dont elle s’est acquittée de son fardeau de preuve pour ce motif en ce qui concerne les Produits (1). Par conséquent, l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve pour cet aspect du motif d’opposition fondé sur l’article 38(2)e) et il est donc rejeté en ce qui a trait aux Produits (1).

[107] En ce qui a trait aux Produits (2), produit pour l’emploi projeté avec la Marque, l’Opposante a présenté des arguments plutôt détaillés suggérant que le défaut de la Requérante d’employer la Marque avec les Produits (2) pendant [traduction] « une longue période », laquelle est définie par l’Opposante comme la période entre la date de dépôt de la demande pour la Marque (soit le 20 août 2018) et la date à laquelle la preuve de la Requérante a été produite (étant juillet 2021) [observations écrites de l’Opposante, para 78 à 81].

[108] Comme il a été indiqué ci-dessus, la date pertinente pour ce motif est la date de dépôt de la demande. Un requérant n’a pas l’obligation de produire la preuve d’emploi de sa marque de commerce dans des procédures d’opposition et n’a également pas l’obligation de produire la preuve de son intention d’employer une marque de commerce visée par une demande. Par conséquent, puisqu’aucune preuve n’a été versée au dossier que, à la date pertinente, la Requérante n’avait pas l’intention d’employer la Marque au Canada, l’Opposante ne s’est également pas acquittée de son fardeau à l’égard de cet aspect du motif d’opposition concernant les Produits (2).

[109] Puisque l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial pour l’ensemble des Produits visés par une demande pour l’emploi ou des Produits visés par une demande pour l’emploi projeté, ce motif d’opposition est rejeté.

38(2)f) – Droit d’emploi

[110] En vertu de l’article 38(2)f) de la Loi, l’Opposante fait valoir que [traduction] « […] la requérante n’avait pas le droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les produits énumérés dans la demande ».

[111] L’article 38(2)f) de la Loi est libellé comme suit :

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

[…]

f) à la date de production de la demande au Canada […] le requérant n’avait pas le droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec ces produits ou services.

[112] Par conséquent, la date pertinente pour ce motif d’opposition est la date de dépôt de la demande.

[113] L’Opposante n’a présenté aucun argument concernant ce motif d’opposition ou n’a fait référence à aucune preuve versée au dossier pour s’acquitter de son fardeau de preuve pour ce motif. À partir de la déclaration d’opposition, je comprends que l’Opposante invoque l’argument que les consommateurs seraient menés à croire faussement que les Produits de la Requérante sont en fait ceux de l’Opposante. Cependant, l’article 38(2)f) n’aborde pas le droit d’un requérant à enregistrer une marque par rapport à la marque de commerce d’une autre personne en vertu de l’article16 de la Loi. Plutôt, cet article aborde le droit légal d’un requérant d’employer la marque de commerce, par exemple, conformément aux lois fédérales pertinentes et autres obligations juridiques interdisant [traduction] « l’emploi » de la marque de commerce au sens de l’article 4 de la Loi [voir Methanex Corporation c Suez International, société par actions simplifiée, 2022 COMC 155]. Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté. L’Opposante n’a fourni aucun fait ou argument pour appuyer ce motif d’opposition et, par conséquent, elle ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

Décision

[114] Compte tenu de tout ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.

_______________________________

Leigh Walters

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

William Desroches

Le français est conforme aux WCAG.


Comparutions et agents inscrits au dossier

DATE DE L’AUDIENCE : 2023-06-19

COMPARUTIONS

Pour l’Opposante : Amy Thomas

Pour la Requérante : Sebastien Gardere

AGENTS AU DOSSIER

Pour l’Opposante : Moffat & Co.

Pour la Requérante : Gowling WLG

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