Contenu de la décision
Office de la propriété intellectuelle du Canada
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
Référence : 2024 COMC 225
Date de la décision : 2024-12-27
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Requérante : SALENTEIN ARGENTINA B.V.
Introduction
[1] L’Instituto Dos Vinhos Do Douro e Do Porto, I.P. (l’Opposante) est un institut public du Portugal dont la mission comprend la promotion et la protection, au Portugal et à l’étranger, de l’appellation d’origine de PORT, qui désigne un certain type de vin produit dans une certaine région du Portugal, dans des conditions particulières.
[2] L’Opposante s’oppose à l’enregistrement de la marque de commerce PORTILLO (la Marque), qui fait l’objet de la demande no 1,901,699 (la Demande) au nom de Salentein Argentina B.V. (la Requérante). La Demande, dans sa version modifiée, est en liaison avec des [traduction] « Vins, nommément malbec, sauvignon blanc, cabernet sauvignon, chardonnay, rosé, merlot, pinot noir, mais excluant particulièrement le porto » (les Produits). La Demande revendique un emploi de la Marque au Canada depuis au moins aussitôt que le 23 juillet 2010.
[3] Une question clé dans l’opposition est de savoir si la Marque donne une description fausse et trompeuse de la nature et/ou de la qualité des Produits, et/ou de leur lieu d’origine, en ce sens que des consommateurs qui voient la Marque en liaison avec les Produits s’attendraient à ce qu’ils possèdent l’aspect et les caractéristiques du porto, ou proviennent d’une région particulière du Portugal, et seraient induits en erreur et trompés par les Produits parce qu’ils ne sont ni du porto ni du vin à base de porto), et ne sont pas produits au Portugal.
[4] Une autre question clé est de savoir si la Marque est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée qui désigne un vin bénéficiant des indications géographiques PORT, auquel cas la Marque doit être enregistrée en liaison avec un vin ne provenant pas d’un territoire visé par l’indication géographique, à savoir la région du Douro au Portugal.
[5] Pour les raisons qui suivent, la Demande est rejetée.
Le dossier
[6] La Demande a été produite le 30 mai 2018 et contient la traduction suivante des caractères étrangers :
[traduction]
Selon le requérant, la traduction anglaise de PORTILLO est « small gate » [petite porte] ou « wicket » [guichet].
[7] La Demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 26 août 2020. Le 23 novembre 2020, l’Opposante a produit une déclaration d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce (LRC 1985, ch T-13) (la Loi). Les motifs d’opposition concernent l’enregistrabilité en vertu des articles 12(1)b) et 12(1)g), le caractère distinctif en vertu de l’article 2, et la non-conformité aux articles 38(2)e) et 38(2)f) de la Loi.
[8] La Requérante a produit une contre-déclaration niant les motifs d’opposition. Les deux parties ont produit des preuves et des observations écrites, et aucune audience n’a été tenue.
Aperçu de la preuve
[9] La preuve au dossier est résumée ci-dessous. Les parties pertinentes de la preuve sont discutées plus en détail dans l’analyse des motifs d’opposition.
La preuve de l’Opposante
[10] À l’appui de l’opposition, l’Opposante a produit les affidavits de Roseline Lees (souscrit le 11 juillet 2022) et Jayne White (souscrit le 11 juillet 2022). Aucun contre-interrogatoire n’a été mené au sujet de ces affidavits. L’Opposante a également produit des copies certifiées des indications géographiques PORTO, PORT, PORTWEIN, PORTVIN, PORTWIJN et OPORTO.
L’affidavit Lees
[11] Au moment de la souscription de son affidavit, Mme Lees était adjointe juridique et coordinatrice de l’équipe de litige employée par les anciens agents de l’Opposante. Mme Lees inclut des imprimés de parties du site Web de l’Opposante, y compris des pages expliquant le mandat de l’Opposante, des renseignements sur le porto et la région du Douro au Portugal (d’où le porto provient), et des renseignements sur la quantité de porto (en litres/en euros/en euros par litre) vendu au Canada entre 2006 et 2021.
[12] Mme Lees fournit les résultats de recherches pour PORT/PORTO sur les sites Web des régies des alcools de l’Ontario et du Québec (LCBO et SAQ, respectivement). Les imprimés de ces résultats comprennent des pages présentant l’inventaire des portos, ainsi que des pages mentionnant le porto dans des articles et dans des recettes de cuisine et de cocktails. Mme Lees a également visité un magasin de la LCBO à Ottawa et a pris des photos des sections « Portugal » et « Port/Porto ».
[13] De plus, Mme Lees fournit des imprimés d’entrées de dictionnaires français et anglais, y compris pour « port », « porto » et divers mots se terminant par « -illo ». Elle fournit également des articles discutant du porto et/ou de la région du Douro au Portugal qui sont publiés sur différents sites Web (dont WineAlign et Lonely Planet), ainsi que des extraits de livres qu’elle a empruntés à la Bibliothèque publique d’Ottawa (dont Le Cordon Bleu Wine Essentials, Windows on the World Complete Wine Course (édition du 25e anniversaire) de Kevin Zraly et The Wine Lover’s Bucket List).
[14] Mme Lees joint également des extraits des sites Web de la Requérante (bodegasalentein.com et portillowines.com), qui indiquent que les vins de la Requérante proviennent d’Argentine, ainsi que des imprimés du vin Portillo de la Requérante, extraits des sites Web de la SAQ et de la LCBO. Un imprimé du site Web « Drizly » mettant en valeur le produit Portillo est également fourni; il montre une bouteille de PORTILLO cabernet sauvignon de la Requérante qui est rangée à tort dans la catégorie d’un porto.
L’affidavit White
[15] Au moment de la signature de son affidavit, Mme White était étudiante en droit employée par les anciens agents de l’Opposante. Mme White a effectué différentes recherches dans les journaux à l’aide de la base de données Factiva de Dow Jones et en appliquant des combinaisons de « Port », « Porto » et « wine » [vin]. Les résultats comprennent des articles publiés dans The Globe and Mail, Toronto Star, National Post, Calgary Herald, Montreal Gazette, Vancouver Sun, Windsor Star et Ottawa Citizen, qui discutent du porto et/ou de la région du Douro. Les échantillons d’articles comprennent les suivants :
· « WINE TRAVEL THE PORTO REGION: A river of port in the valley of the Rio Douro, Portugal’s “River of Gold”, is the birthplace – and purists insist, only legitimate producer – of the velvety libation known as port wine », publié par The Globe and Mail (le 24 mai 1997);
· « A vintage holiday in Portugal: The country’s northwestern corner holds many treasures for port-wine lovers », publié par The Globe and Mail (le 26 juillet 2003);
· « Experience and taste fine Portuguese fortified wine: Explore Douro Valley, the only place where port is produced, Rick Steves writes », publié par Windsor Star (le 27 septembre 2019), Montreal Gazette (le 31 août 2019), Vancouver Sun (le 27 août 2019) et Victoria Times Colonist (10 août 2019);
· « Porto: Wine, hills and sunsets in Portugal’s 2nd city - Porto is the place to explore for this fortified wine, charming cafes and worthy shopping », publié par Hamilton Spectator (le 25 mars 2017), Postmedia Breaking News (le 24 mars 2017) et The Canadian Press (le 22 mars 2017);
· « Port is for parka season: Embracing some of the best summer offerings from Portugal’s Douro region », publié par Postmedia Breaking News (le 5 août 2016).
La preuve de la Requérante
L’affidavit Engelenburg
[16] À l’appui de la Demande, la Requérante a produit l’affidavit de M. Aart Cornelis van Engelenburg. M. Engelenburg est le directeur des finances de la Requérante et occupe ce poste depuis octobre 2019. L’affidavit fournit des renseignements sur l’entreprise de la Requérante, la gamme de vins PORTILLO, et l’adoption, l’emploi et la promotion de la Marque au Canada. M. Engelenburg n’a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit.
L’entreprise de la Requérante
[17] La Requérante est l’actionnaire principale de Bodegas Salentein SA (Bodegas Salentein), une entreprise située à Mendoza, en Argentine, qui exploite plusieurs vignobles. La Requérante a octroyé à Bodegas Salentein une licence pour l’emploi de plusieurs de ses marques de commerce, y compris la marque de commerce PORTILLO et ses variantes, au Canada et ailleurs, dans certaines circonstances et selon des conditions en vertu desquelles la Requérante contrôle la nature ou la qualité des produits fabriqués et des services exécutés par Bodegas Salentein.
Vins PORTILLO
[18] M. Engelenburg affirme que PORTILLO est un mot espagnol qui, en anglais, signifie « gate » [porte] et qui est parfois employé pour sous-entendre un « espace », une « porte d’entrée » ou un « portail ». La gamme de vins PORTILLO fabriquée et vendue par la Requérante comprenait, et ce depuis plus de dix ans, les cépages de malbec, de cabernet sauvignon, de sauvignon blanc, de chardonnay, de rosé et de pinot noir développés par la Requérante dans son vignoble de la vallée de l’Uco en Argentine. M. Engelenburg fournit un extrait du site Web portillowines.com expliquant le choix de la Marque par la Requérante comme suit : [traduction] « [...] Inspirés par les passages en haute altitude le long de la Cordillère des Andes, nous avons nommé nos vins “Portillo”, le mot espagnol pour “porte d’entrée” ou “portail” ». La gamme de vins PORTILLO est décrite comme mettant en valeur de [traduction] « jeunes cépages » (para 8).
L’adoption et l’emploi de PORTILLO au Canada
[19] M. Engelenburg affirme que PORTILLO a été adopté et employé pour la première fois en liaison avec des vins sous la forme « Finca el PORTILLO », qui se traduit en français par « domaine el Portillo »; les expéditions de vins Finca el PORTILLO au Canada ont commencé en mai 2002. En 2009, les étiquettes ont été mises à jour pour supprimer la mention de « Finca el », en partie pour mettre en relief l’élément distinctif PORTILLO. Le paragraphe 13 de l’affidavit Engelenburg comprend des photographies décrites comme [traduction] « illustrant diverses étiquettes adoptées et employées de 2009 à aujourd’hui ». Je note que toutes les photographies montrent des bouteilles de vin dont les étiquettes font bien ressortir la Marque.
[20] M. Engelenburg affirme que la Marque est, et ce à toutes les dates pertinentes depuis 2003, employée par la Requérante au Canada et à l’étranger, notamment étant affichée bien en vue sur les étiquettes des bouteilles et des caisses de vins, les bouchons, les factures, les documents d’expédition et les documents promotionnels. Le paragraphe 19 de l’affidavit Engelenburg comprend des exemples montrant comment la Marque a été et continue d’être employée sur des boîtes en bois dans lesquelles les vins sont emballés par paires en vue de la vente, ainsi que sur des boîtes en carton (reproduites à plat) dans lesquelles les vins PORTILLO sont expédiés et livrés aux clients au Canada en vue de la revente.
[21] M. Engelenburg note qu’au Canada, la Requérante a obtenu un enregistrement (LMC583,300) pour la marque de commerce FINCA EL PORTILLO en 2003; cet enregistrement a par la suite expiré en raison de son non-renouvellement. La Demande en l’espèce, qui reflète l’étiquette mise à jour de la Requérante, a été produite juste avant la radiation de l’enregistrement de FINCA EL PORTILLO.
Ventes et promotion des vins PORTILLO
[22] M. Engelenburg affirme que les vins PORTILLO [traduction] « sont vendus et ont été vendus à toutes les dates pertinentes depuis plus de 10 ans » au Canada par Bodegas Salentein aux régies des alcools provinciales et, dans les provinces n’ayant pas de régie des alcools centrale, à des distributeurs et revendeurs exclusifs de vins/bières. Les premières ventes de vins PORTILLO au Canada se sont principalement effectuées par l’intermédiaire de la LCBO et de la SAQ. Les ventes dans les autres provinces ont fluctué au fil des ans, mais en plus des inscriptions auprès de la LCBO et de la SAQ, la Requérante a continuellement vendu ses vins PORTILLO au Canada par l’intermédiaire de la BCLDB (British Columbia Liquor Distribution Branch) en Colombie-Britannique et de la NSLC (Nova Scotia Liquor Corporation) en Nouvelle-Écosse. Au cours de différentes années entre 2010 et 2023, les vins PORTILLO ont également été vendus en Alberta, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et à l’Île-du-Prince-Édouard.
[23] M. Engelenburg fournit des renseignements sur les expéditions annuelles (nombre approximatif de caisses/bouteilles) de vins PORTILLO au Canada pour la période allant de 2010 à 2022. Il affirme que les dossiers à des années d’avant 2010 ne sont pas disponibles, car le système comptable de la Requérante a été modifié en 2010.
[24] M. Engelenburg affirme que les vins PORTILLO ont été annoncés et promus au Canada par des distributeurs et des vendeurs de vin canadiens, y compris plusieurs régies des alcools provinciales, dans des magazines imprimés et électroniques, ainsi que sur des sites Web. Les vins PORTILLO ont également été mis en valeur dans divers magazines imprimés et électroniques, ainsi que sur de nombreux sites Web au Canada. La Pièce D est décrite comme un lot de copies d’imprimés provenant de magazines et de sites Web qui sont représentatifs de la manière dont les vins PORTILLO ont été mis en valeur et promus au Canada au fil des années.
Coexistence des marques de commerce PORTILLO et des indications géographiques protégées de l’Opposante
[25] M. Engelenburg affirme que la Marque, ainsi que diverses marques de commerce connexes se distinguant toutes par l’élément PORTILLO, est enregistrée pour emploi en liaison avec des vins dans plus de 20 pays. La Pièce A jointe à l’affidavit Engelenburg est un calendrier présentant les détails du portefeuille mondial de la Requérante en ce qui a trait à ses marques de commerce qui sont constituées du mot PORTILLO et/ou comprennent ce mot. Avant l’opposition en l’espèce, l’Opposante ne s’est jamais opposée ou n’a autrement jamais fait objection à l’emploi et l’enregistrement de l’une ou l’autre des marques de commerce PORTILLO énumérées à la Pièce A. Ces marques de commerce coexistent sur le marché avec les indications géographiques protégées de l’Opposante depuis plus de 20 ans.
[26] M. Engelenburg affirme qu’au cours de toute sa période d’emploi chez la Requérante, il n’a jamais reçu ou eu connaissance de plainte ou de demande d’un client ou d’un distributeur qui était confus par l’emploi de la marque de commerce PORTILLO ou qui pensait à tort que le produit commercialisé et vendu sous la marque de commerce PORTILLO émanait de la région du Douro au Portugal ou était un porto fortifié.
Fardeau ultime et fardeau de la preuve
[27] D’emblée, l’Opposante a le fardeau de preuve initial d’établir les faits sur lesquels elle appuie les allégations plaidées dans la déclaration d’opposition [John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 1990 CanLII 11059 (CF), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst)]. Cela signifie que, avant même que les questions soulevées par l’Opposante ne soient examinées, il doit exister une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question.
[28] En ce qui concerne les allégations à l’égard desquelles l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve, c’est à la Requérante qu’incombe le fardeau ultime de démontrer que la Demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi, comme il est allégué dans la déclaration d’opposition. Le fait qu’un fardeau ultime incombe à la Requérante signifie que, s’il est impossible d’arriver à une conclusion déterminante une fois que l’ensemble de la preuve a été examinée, la question doit être tranchée à l’encontre de la Requérante.
Analyse des motifs d’opposition
Motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)b)
[29] L’Opposante a plaidé que la Marque n’est pas enregistrable parce que, contrairement à l’article 12(1)b) de la Loi la Marque donne, dans sa graphie, sa présentation et son son, une description claire ou une description fausse et trompeuse, en langue anglaise ou française, de la nature ou de la qualité des produits visés par la Demande, des conditions de leur production ou des personnes qui les ou de leur lieu d’origine.
Évaluation d’un motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)b)
[30] L’enregistrabilité de la Marque en vertu de l’article 12(1)b) doit être évaluée en date de la production de la Demande, qui, en l’espèce, est le 30 mai 2018 [Fiesta Barbeques Ltd c General Housewares Corp, 2003 CF 1021, 28 CPR (4th) 60].
[31] Le fait qu’une marque de commerce est un mot inventé qui ne figure pas dans le dictionnaire n’empêche en soi pas ladite marque de commerce d’être considérée comme donnant une description claire ou une description fausse et trompeuse [The Oshawa Group Ltd c Le registraire des marques de commerce (1980), 1980 CanLII 4192 (CF), 46 CPR (2d) 145 (CF 1re inst); Stabilisierungsfonds für Wein c Andrés Wines Ltd, 1986 CarswellNat 647, 14 CPR (3d) 225].
[32] La question de savoir si la Marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse doit être examinée du point de vue de l’acheteur moyen des produits liés à la Marque. La Marque ne doit pas être analysée dans ses moindres détails, mais considérée dans son intégralité sous l’angle de la première impression [Wool Bureau of Canada Ltd c Registraire des marques de commerce (1978), 40 CPR (2d) 25 (CF 1re inst); Promotions Atlantiques Inc c Registraire des marques de commerce (1984), 2 CPR (3d) 183 (CF 1re inst)]. En d’autres termes, la marque de commerce ne doit pas être considérée de façon isolée, mais plutôt dans son contexte global en relation avec les produits [Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2012 CAF 60]. En plus d’examiner la preuve présentée, le registraire doit user de bon sens lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le caractère descriptif [Neptune SA c Canada (Procureur général) (2003), 2003 CFPI 715 (CanLII), 29 CPR (4th) 497 (CF 1re inst)].
[33] Pour donner une description « claire », la signification de la Marque doit être [traduction] « facile à comprendre, évidente ou simple » [Drackett Co of Canada Ltd c American Home Products Corp (1968), 55 CPR 29 (C de l’É) à la page 34]. Pour donner une description « fausse et trompeuse », la Marque doit induire le public en erreur quant à la nature ou à la qualité des produits liés à la Marque [Promotions Atlantiques Inc, supra]. Quoi qu’il en soit, la nature descriptive de la Marque doit s’appliquer à la composition pertinente des produits ou renvoyer à une qualité intrinsèque évidente, comme une caractéristique ou une particularité du produit en soi [ITV Technologies Inc c WIC Television Ltd, 2003 CF 1056; Provenzano c Registraire des marques de commerce (1977), 37 CPR (2d) 189 (CF 1re inst), conf par (1978), 40 CPR (2d) 288 (CAF)].
[34] Une marque de commerce donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des produits qui y sont si la marque de commerce renvoie à un nom géographique et les produits ne proviennent pas de l’endroit désigné par le nom géographique, et si le consommateur ordinaire serait porté à croire à tort que les produits liés tiraient leurs origines de l’endroit désigné par le nom géographique [MC Imports Inc c AFOD Ltd, 2016 CAF 60].
[35] L’interdiction relative aux marques de commerce qui donnent une description fausse et trompeuse vise à empêcher que le public ne soit induit en erreur [Promotions Atlantiques Inc, supra; et Provenzano c Canada (Registraire des marques de commerce), 1977 CarswellNat 676 (CF 1re inst)].
[36] Si une partie d’une marque de commerce est contestable, la question de savoir si la marque de commerce dans son ensemble peut toujours être enregistrée se pose. La réponse dépend de la question de savoir si la partie de la marque de commerce contestable constitue un élément significatif de l’ensemble et fait d’elle une marque qui continue de donner donne une description fausse et trompeuse. Le test qui convient d’appliquer est la question de savoir si les mots qui donnent une description fausse et trompeuse [traduction] « dominent la marque de commerce visée par la demande au point [...] où la marque de commerce pourrait être privée du droit à l’enregistrement » [Conseil canadien des ingénieurs c John Brooks Company Ltd, 2004 CF 586, 35 CPR (4th) 507 au para 21 (CF 1re inst); Chocosuisse Union des Fabricants – Suisses de Chocolate c Hiram Walker & Sons Ltd (1983), 77 CPR (2d) 246 (COMC), citant Lake Ontario Cement Ltd c Registraire des marques de commerce (1976), 31 CPR (2d) 103 (CF 1re inst)].
[37] Enfin, un opposant peut, dans certains cas, s’acquitter de son fardeau de preuve initial en renvoyant au sens ordinaire des mots qui figurent dans la marque de commerce d’un requérant [Flowers Canada/Fleurs Canada Inc c Maple Ridge Florist Ltd (1998), 86 CPR (3d) 110 (COMC)].
La position de l’Opposante
[38] L’Opposante soutient que l’élément « PORT » domine la Marque dans la présentation, et que, même si ce mot a de nombreuses significations, sa signification principale en liaison avec des vins se rapporte au porto, un vin fortifié originaire de la région du Douro au Portugal. L’élément « Port » est également un identifiant distinctif de la qualité, de la réputation, de l’intensité, de l’arôme, de la saveur et de la teneur en alcool de ce vin.
[39] L’Opposante suggère que l’élément -ILLO de la Marque serait vue comme un suffixe diminutif. L’Opposante souligne également que les portos de la région du Douro au Portugal bénéficient de plusieurs indications géographiques composées de l’élément PORT, notamment PORTO, PORTWEIN, PORTVIN, PORTWIJN et OPORTO. Il s’ensuit que les consommateurs associeraient naturellement la marque de commerce PORTILLO au porto en raison de la ressemblance entre ces termes dans la présentation et le son, et/ou présumeraient que le vin PORTILLO est un porto de qualité inférieure ou partage certaines, mais pas toutes les caractéristiques distinctives du porto.
[40] Les Produits énumérés de la Requérante excluent particulièrement le porto, et la preuve confirme que les vins de la Requérante n’incluent pas le porto et ne proviennent pas du Portugal. Par conséquent, les consommateurs seraient surpris, trompés et induits en erreur par le vin PORTILLO de la Requérante, puisqu’il n’est ni un porto ni un vin à base de porto, et qu’il n’est pas produit au Portugal.
La position de la Requérante
[41] Les observations de la Requérante sur ce motif d’opposition se limitent à une affirmation selon laquelle il devrait être rejeté sommairement parce qu’il n’est aucunement étayé par la preuve, et que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial.
Analyse – l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve et la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime
[42] Compte tenu de la preuve de l’Opposante discutée ci-dessous, je suis convaincue que l’Opposante a au minimum présenté une preuve suffisante pour s’acquitter de son fardeau initial de preuve et au moins soulevé la question de savoir si la Marque contrevient à l’article 12(1)b) de la Loi.
Commentaires préliminaires – preuve de l’Opposante
[43] D’emblée, comme l’a noté la Requérante dans ses observations, je reconnais qu’il y a des lacunes dans la preuve de l’Opposante, et j’ai apprécié ou ignoré de telles preuve en conséquence. Il n’est pas nécessaire de discuter en détail de ces lacunes, et je me contenterai simplement de faire les commentaires suivants. Premièrement, j’ai ignoré les imprimés du site Web de l’Opposante (jointes à l’affidavit Lees à titre de Pièces RL-1 à RL-5), notamment les pages détaillant la quantité de porto vendue au Canada, sur la base qu’elles n’ont pas été fournies par un employé de l’Opposante ayant la connaissance personnelle requise, mais plutôt par une employée de l’agent de l’Opposante. Cependant, je considère que le fait que les employées de l’agent de l’Opposante (Mme Lees et Mme White) aient imprimé de telles références de tiers comme des définitions de dictionnaire, des livres, des articles de journaux et de sites Web, etc., n’influe pas sur l’admissibilité de cette preuve, car elle ne serait pas nécessairement plus objective ou fiable si elle avait été fournie par quelqu’un d’autre.
[44] Deuxièmement, je note que le registraire peut tenir compte des questions qui surviennent après une date pertinente, dans la mesure où elles permettent d’inférer l’existence d’une situation à partir de cette date pertinente [Speedo Knitting Mills Pty Ltd c Beaver Knitwear (1975) Ltd (1985), 4 CPR (3d) 176 (COMC)]. Par conséquent, en ce qui concerne les documents produits par l’Opposante qui sont postérieurs à la date de production de la Demande, dans la mesure où ils étayent la preuve au dossier concernant le porto et la région du Douro, un certain poids leur a au moins été accordé [Institut national de l’origine et de la qualité c Établissements Rivoire-Jacquemin, Société Anonyme, 2021 COMC 162 au para 20].
[45] Troisièmement, j’ai ignoré l’imprimé provenant du site Web « Drizly » sur lequel le cabernet sauvignon PORTILLO de la Requérante semble être rangé à tort dans la catégorie de « dessert and fortified wine » [vin de dessert et fortifié] / « port wine » [porto] (affidavit Lees, Pièce RL-23). Dans ses observations, l’Opposante s’appuie sur cette pièce pour soutenir l’idée que la tromperie sur le marché a déjà eu lieu. Elle fait valoir que, [traduction] « si l’emploi de PORTILLO a induit en erreur la plus grande part du marché des alcools en ligne en Amérique du Nord en faisant croire à tort que le produit lié à la marque de commerce est un Porto ou possède une certaine caractéristique ou qualité du porto, le consommateur canadien moyen serait certainement également induit en erreur si on lui faisait croire à tort que les vins PORTILLO sont des portos ou proviennent du lieu indiqué par le nom géographique PORT dans la Marque PORTILLO faisant l’objet de l’opposition » (observations écrites de l’Opposante, au para 39). Laissant de côté le ouï-dire et les questions relatives aux dates, je n’ai accordé aucun poids à cette preuve, puisqu’il ne s’ensuit pas nécessairement que cette seule erreur permettrait de tirer une conclusion concernant la façon dont le consommateur canadien moyen percevrait la Marque.
L’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve
[46] Je vais maintenant me pencher sur les parties de la preuve qui aident l’Opposante à s’acquitter de son fardeau de preuve.
[47] Une grande partie de la preuve de l’Opposante vise à établir que la principale signification de « porto » dans le contexte des vins est un type de vin fortifié provenant du Portugal. Dans l’affidavit Lees, l’Opposante fournit des définitions des mots « port » et « porto » (Pièce RL-11). Bien qu’il existe plusieurs significations attribuées au mot « port », sa principale signification dans le contexte des vins est un vin fortifié provenant du Portugal. Le Canadian Oxford Dictionary (1998) définit le terme « port » comme suit :
[traduction]
Port [également porto] un vin fort, sucré, rouge foncé (parfois brun ou blanc) fortifié du Portugal [forme raccourcie d’Oporto, ville au Portugal à partir de laquelle le porto est expédié].
[48] Plusieurs références reconnaissant le porto comme un type de vin provenant de la région du Douro au Portugal sont également fournies dans des extraits de livres et d’articles de référence, ainsi que dans des articles publiés dans des journaux comme The Globe and Mail, Toronto Star, National Post, Calgary Herald, Montreal Gazette, Vancouver Sun, Windsor Star et Ottawa Citizen.
[49] L’Opposante renvoie également au porto, en liaison avec du vin, dans des imprimés provenant des sites Web de la LCBO et de la SAQ. En particulier, les imprimés du site Web de la LCBO présentent un inventaire significatif de porto, des recettes qui mettent en valeur ou incluent du porto, ainsi que des articles généraux sur les vins du Portugal, y compris du porto (affidavit Lees, Pièce RL-9). Des photographies d’un magasin de la LCBO dans la région d’Ottawa – qui montrent une section dédiée au porto et identifiée par une enseigne placée dans le haut des étagères indiquant « PORT/PORTO » – sont également incluses. Les photographies montrent également des étiquettes d’étagère sous les bouteilles de porto arborant la mention « Portugal-Douro » (affidavit Lees, Pièce RL-25).
[50] En ce qui concerne les imprimés provenant des sites Web de la SAQ et de la LCBO, compte tenu du caractère officiel de ces entités en tant qu’entreprises gouvernementales, je suis généralement prête à accepter qu’ils puissent être considérés comme une preuve de l’existence de ces sites Web et de la véracité de leur contenu [une approche similaire a été adoptée par le registraire dans Arterra Wines Canada, Division Québec, Inc c Lidl Stiftung & Co, KG, 2022 COMC 199]. En outre, même si ces pages ont été imprimées après la date pertinente ou, dans le cas des articles sur ces sites, semblent avoir une date de publication ultérieure à la date pertinente, je considère que la période entre la date de production de la Demande (30 mai 2018) et la date d’impression ou de publication n’est probablement pas assez importante pour avoir un effet sur la manière dont le terme « port » est employé dans le contexte des vins. Par conséquent, je suis prêt à accorder au moins un certain poids à ces références. En ce qui concerne les imprimés montrant les inventaires de porto au moment de l’impression (en juillet 2022), je ne m’attends pas à ce que l’inventaire de porto soit le même à la date pertinente, mais plutôt à ce qu’une recherche pour le mot « port » donnerait des résultats pour du porto. De même, en ce qui concerne les photographies montrant la section dédiée aux portos du magasin de la LCBO, je ne m’attends pas à ce que l’inventaire de porto montré dans cette section soit le même qu’à la date pertinente, mais plutôt à ce que le magasin ait une section dédiée aux portos.
[51] En tenant compte de cette preuve dans son ensemble, je suis convaincue qu’elle établit que le consommateur canadien moyen reconnaîtrait la signification de « porto » et associerait ce terme à un vin fortifié provenant de la région du Douro au Portugal.
[52] En ce qui concerne l’élément -ILLO, l’Opposante inclut des définitions de différents mots qui intègrent ILLO en tant que suffixe diminutif – à savoir « tomatillo » (tomate cerise), « cigarillo » (petit cigare), « pecadillo » (une petite faute) et « novillo » (un jeune taureau) – provenant de dictionnaires anglais et français (affidavit Lees, Pièce RL-28). L’Opposante renvoie également à la preuve de la Requérante, où cette dernière décrit la gamme de vins PORTILLO comme des [traduction] « PORTILLO - jeunes cépages » (affidavit Engelenburg, au para 8).
[53] L’Opposante fait valoir que PORT est l’élément dominant de la Marque dans la présentation, notant en particulier que [traduction] « c’est le premier élément de la [M]arque, qu’il représente la moitié des lettres composant PORTILLO et les deux tiers de ses syllabes, et c’est l’élément le plus frappant de la Marque faisant l’objet de l’opposition » (observations de l’Opposante, au para 28). En examinant la Marque dans son ensemble et sous l’angle de la première impression, j’estime que la présence du mot « port » dans la Marque est évidente et domine la Marque dans son ensemble, particulièrement dans le contexte des Produits. Pour arriver à cette conclusion, je ne considère pas le nombre de lettres ou de syllabes attribuables au terme « PORT » au sein de la Marque comme déterminant de sa dominance.
[54] En ce qui concerne l’élément ILLO, même si je ne suis pas certaine si le consommateur moyen serait conscient de la possibilité qu’il s’agisse d’un suffixe diminutif (bien que certains pourraient faire le lien s’ils connaissent les mots « tomatillo », « cigarillo », « pecadillo » ou « novillo »), il est probable qu’il soit tout de même perçu comme un suffixe.
[55] C’est pourquoi l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve d’étayer ses allégations selon lesquelles le consommateur moyen de vin, en examinant la marque de commerce PORTILLO dans son ensemble en liaison avec du vin, penserait, comme première impression, que les Produits sont du porto ou du vin à base de porto, mettant ainsi en évidence la nature et la qualité distinctes du porto, ou le fait que les produits proviennent d’une région particulière du Portugal.
La Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime
[56] Comme indiqué ci-dessus, nous ne bénéficions pas des arguments de fond de la Requérante réfutant les observations particulières présentées par l’Opposante en vertu de ce motif. Cela étant dit, les observations de la Requérante comprennent effectivement une déclaration générale selon laquelle, dans l’éventualité où il serait déterminé que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve, la Requérante soutient qu’elle a produit une preuve qui permettrait de conclure que la Marque est enregistrable (observations de la Requérante, au para 41). Cependant, à mon avis, la preuve de la Requérante est insuffisante pour lui permettre de s’acquitter de son fardeau.
[57] La Requérante explique que PORTILLO est un mot de dictionnaire en espagnol signifiant « porte d’entrée », et que les passages en haute altitude le long de la Cordillère des Andes ont inspiré sa sélection de la Marque. Cependant, PORTILLO n’est pas un mot connu en anglais ou en français, de sorte que le consommateur moyen des Produits, comme première impression, serait facilement conscient de sa signification traduite de l’espagnol, et que le consommateur moyen ne serait pas censé être conscient de l’inspiration sous-jacente de sa sélection.
[58] Bien que les Produits énumérés dans la Demande excluent explicitement le [traduction] « porto » et que la preuve confirme de manière indéniable que la Requérante n’offre aucun porto et que ses vins ne proviennent pas du Portugal, mais de l’Argentine, cela n’est pas suffisant pour permettre à la Requérante de s’acquitter de son fardeau ultime.
[59] La preuve de la Requérante comprend un renvoi à son portefeuille de marques de commerce comprenant PORTILLO déposées dans plus de 20 pays (affidavit Engelenburg au para 15, Pièce A). La justification de la Requérante pour l’inclusion de ces enregistrements semblerait être de démontrer la coexistence de ses marques de commerce avec les diverses indications géographiques PORT de l’Opposante dans d’autres pays autres que le Canada. Bien que A. Kelly Gill dans Fox on Canadian law of trade-marks and unfair competition, 4e éd, section 5:43, indique que l’enregistrement d’une marque de commerce dans des juridictions étrangères peut appuyer ou entraîner l’inférence selon laquelle la marque de commerce en question ne donne pas une description claire ou une description fausse et trompeuse au Canada, j’estime que ce n’est pas le cas en l’espèce. Premièrement, la preuve mentionne plusieurs marques de commerce qui comprennent des éléments supplémentaires (par exemple, FINCA EL PORTILLO). Deuxièmement, plusieurs des juridictions mentionnées semblent être hispanophones; par conséquent, l’incidence du mot espagnol PORTILLO sur les consommateurs pourrait être différente. Troisièmement, il n’y a aucune preuve que, dans les autres juridictions, les lois relatives au caractère descriptif sont similaires à celles du Canada [voir, par exemple, Sun-Maid Growers of California c Williams & Humbert Ltd (1981), 54 CPR (2d) 41 (CF 1re inst); et Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707, 41 CPR (4th) 8 (CF 1re inst)].
[60] J’ajouterai que les étiquettes sur les bouteilles des Produits de la Requérante, comme il est indiqué au paragraphe 13 de l’affidavit Engelenburg, qui représentent les étiquettes adoptées et utilisées à partir de 2009, comprennent des mots identifiant clairement le type de vin offert, comme « Malbec », « Sauvignon Blanc », etc. sous la Marque. Le bas des étiquettes indique que le vin provient de la « Valle de Uco, Mendoza, Argentina » [vallée de l’Uco, Mendoza, Argentine]. Cependant, je n’en ai pas tenu compte dans mon analyse parce que la question en l’espèce est de savoir si la marque de commerce PORTILLO visée par la Demande, et non les étiquettes de la Requérante, donne une description fausse et trompeuse.
Conclusion concernant le motif fondé sur l’article 12(1)b)
[61] Par conséquent, la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau juridique, en vertu de ce motif, de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la Demande ne contrevient pas à l’article 12(1)b) de la Loi. Le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)b) est donc accueilli.
[62] En passant, je note que l’article 12(3) de la Loi prévoit qu’une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’article 12(1)b) peut être enregistrée si elle est distinctive à la date de production d’une demande d’enregistrement la concernant, eu égard aux circonstances, notamment la durée de l’emploi qui en a été fait. Cependant, la Requérante n’a pas renvoyé à cette disposition dans sa Demande, sa contre-déclaration ou ses observations écrites, et aucune preuve n’a été ventilée par territoire, de sorte que l’enregistrement concernant la marque de commerce peut être restreint à la région territoriale définie au Canada où il est démontré que la marque de commerce est distinctive (voir les articles 12(3) et 32(2) de la Loi).
Motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)g)
[63] L’article 12(1) est silencieux quant à la date pertinente pour déterminer si une marque de commerce est enregistrable en vertu de l’article 12(1)g) de la Loi. Les deux parties sont d’avis que la date pertinente est la date de la décision; je crois également que c’est la date pertinente. Cela étant dit, en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si je considère la date pertinente comme étant la date de la décision ou la date de production de la Demande, puisque les indications géographiques en question ont toutes deux été inscrites dans la liste avant la date de production de la Demande et qu’elles y figurent toujours à la date de ma décision.
[64] En vertu de l’article 12(1)g) de la Loi, une marque de commerce est enregistrable si elle n’est pas constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée désignant un vin et si elle doit être enregistrée en liaison avec un spiritueux dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication géographique. Cependant, l’article 11.2(1) de la Loi énonce les exceptions suivantes :
11.2 (1) L’article 11.14 et l’alinéa 12(1)g) n’ont pas pour effet d’empêcher l’adoption, l’emploi ou l’enregistrement, comme marque de commerce en liaison avec un vin, d’une indication géographique protégée, ou de toute traduction de celle-ci, en quelque langue que ce soit, par une personne qui, de bonne foi, avant le 1er janvier 1996 ou, si elle est postérieure, avant la date à laquelle commence la protection relative à l’indication sur le territoire visé par l’indication :
a) soit a produit une demande conformément à l’article 30 en vue de l’enregistrement de la marque de commerce en liaison avec un vin, ou a obtenu cet enregistrement;
b) soit a acquis par l’usage le droit à la marque de commerce en liaison avec un vin.
La position de l’Opposante
[65] L’Opposante prétend que la Marque n’est pas enregistrable en vertu de l’article 12(1)g) de la loi parce que PORTILLO est constituée, en partie, d’une indication géographique protégée désignant un vin (PORT), et que la Marque est enregistrée en liaison avec un spiritueux dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication géographique PORT.
[66] En ce qui concerne les exceptions énumérées à l’article 11.2(1), l’Opposante soutient que l’article 11.2(1)a) ne s’applique pas, car l’indication géographique PORT a été inscrite dans la liste des indications géographiques protégées le 2 décembre 2015, ce qui précède la date de production de la Demande (30 mai 2018). L’Opposante soutient que l’exception prévue à l’article 11.2(1)b) ne s’applique pas parce que, bien que l’indication géographique PORT ait été inscrite dans la liste des indications géographiques protégées en 2015, PORT est reconnue comme une indication géographique au Canada depuis au moins 1955 en vertu de l’Accord de commerce entre le Canada et le Portugal. Étant donné que la Requérante revendique l’emploi de la Marque depuis au moins aussi tôt que le 23 juillet 2010, la Requérante ne peut pas prétendre avoir acquis des droits au Canada par l’emploi de la Marque avant le jour où la protection de l’indication PORT a commencé en 1955.
[67] En revanche, l’Opposante soutient que la Requérante n’a pas démontré l,acquisition des droits par l’emploi de la Marque au Canada avant le 2 décembre 2015.
La position de la Requérante
[68] Pour sa part, la Requérante prétend que, puisque la Marque a une [traduction] « signification distincte acceptée et est différente, dans la présentation et le son, des indications géographiques protégées invoquées par l’Opposante » (observations de la Requérante au para 50), on ne peut pas raisonnablement affirmer que la Marque est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée désignant un vin, à savoir l’indication géographique PORT en l’espèce.
[69] La Requérante soutient qu’en plus ou à l’exclusion de l’exception prévue à l’article 11.2(1)b) de la Loi s’applique, car la Requérante a employé PORTILLO (seul ou sous la forme EL PORTILLO) au Canada depuis 2002 et a appuyé sa revendication d’emploi au Canada à une date sensiblement antérieure au 2 décembre 2015, date à laquelle l’indication géographique PORT a été inscrite dans la liste des indications géographiques protégées.
[70] En outre, la Requérante souligne qu’il serait illogique et incohérent de la part de l’Opposante de considérer la marque de commerce PORTILLO comme une marque qui est constituée, « en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée [...] », mais de ne pas considérer EL PORTILLO et FINCA EL PORTILLO comme correspondant à la même définition. Comme indiqué ci-dessus, la Requérante a enregistré la marque de commerce FINCA EL PORTILLO le 9 juin 2003; cet enregistrement a été radié en janvier 2019 en raison de son non-renouvellement.
Analyse
[71] D’emblée, je note que la Requérante a antérieurement enregistré la marque de commerce FINCA EL PORTILLO au Canada que cet enregistrement n’a fait l’objet d’aucune opposition en vertu de l’article 12(1)g) de la part de l’Opposante, ce qui n’est pas déterminant de l’enregistrabilité de la Demande en question. Quoi qu’il en soit, il n’est pas clair si une opposition en vertu de l’article 12(1)g) de la Loi aurait pu être soulevée, car la demande d’enregistrement pour FINCA EL PORTILLO a été produite en 2003 et l’indication géographique PORT a été inscrite dans la liste des indications protégées en décembre 2015.
[72] Pour revenir à la Marque en question, je suis d’accord avec l’Opposante que la Marque est contraire à l’article 12(1)g) de la Loi, en ce sens que PORTILLO est constituée « en partie » de l’indication géographique protégée PORT (désignant un vin), et doit être enregistrée en liaison avec des vins dont le lieu d’origine n’est pas la région du Douro au Portugal. Je ne considère pas le fait que PORTILLO soit un mot espagnol conventionnel influe sur cette conclusion. Je suis également d’accord avec l’Opposante que l’exception prévue à l’article 11.2(1)a) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce, compte tenu de la date de production de la Demande, qui est postérieure au 2 décembre 2015, date à laquelle PORT a été ajouté à la liste des indications géographiques protégées.
[73] En ce qui concerne l’article 11.2(1)b) de la Loi, je considère que, pour bénéficier de cette exception, la Requérante doit démontrer qu’elle avait acquis des droits par l’emploi de la Marque en liaison avec les Produits depuis le 2 décembre 2015, et non pas depuis au moins 1955 comme le suggère l’Opposante. J’arrive à cette conclusion en me fondant sur une lecture simple de l’article, qui prévoit que l’article 12(1)g) n’empêche pas l’enregistrement, comme marque de commerce en liaison avec un vin, d’une indication géographique protégée par une personne qui, de bonne foi, avant le 1er janvier 1996 ou, si elle est postérieure, avant la date à laquelle commence la protection relative à l’indication sur le territoire visé par l’indication, a acquis par l’usage le droit à la marque de commerce en liaison avec un vin.
[74] À la lumière de la preuve non contredite de M. Engelenburg dans son intégralité, j’estime qu’elle est suffisante pour démontrer l’emploi de la Marque en liaison avec les Produits avant le 2 décembre 2015. L’affidavit Engelenburg établit qu’à la suite d’une série de révisions, en 2009, les étiquettes des Produits ont été mises à jour pour devenir « PORTILLO », supprimant ainsi la mention de « FINCA EL » [para 13]. Des photos montrant diverses étiquettes adoptées et utilisées de 2009 à aujourd’hui sont fournies au para 13 de l’affidavit Engelenburg. Je note que toutes les bouteilles de vin présentées arborent des étiquettes qui présentent bien en vue la Marque. L’Opposante soutient que M. Engelenburg ne précise pas si ces images ont été prises au Canada ou montrent des bouteilles de vin exportées au Canada (observations de l’Opposante, au para 51). Cependant, j’estime raisonnable de conclure que, puisque la Requérante a transformé ses étiquettes de vin en PORTILLO en 2009, ces étiquettes auraient ensuite été apposées sur les Produits qui auraient été exportés au Canada bien avant le 2 décembre 2015. Il ne fait aucun doute que rien dans la preuve ne suggère le contraire.
[75] La Requérante fournit également des renseignements sur les ventes de ses vins PORTILLO au Canada avant le 2 décembre 2015. Plus précisément, elle fournit des données sur les expéditions annuelles (nombre approximatif de caisses et de bouteilles) de 2010 à 2022. Les ventes pour la période de 2010 à 2015 ont dépassé 6 233 caisses et 75 050 bouteilles [affidavit Engelenburg, au para 22]. La ventilation annuelle pour cette période est présentée ci-dessous :
Année
|
Nombre de caisse
(supérieur à)
|
Nombre de bouteilles
(supérieur à)
|
2010
|
630
|
7 500
|
2011
|
313
|
3 750
|
2012
|
400
|
5 200
|
2013
|
740
|
8 800
|
2014
|
1 750
|
21 000
|
2015
|
2 400
|
28 800
|
[76] L’Opposante soutient que la Requérante n’a produit aucune preuve d’emploi de la Marque PORTILLO au Canada entre 2010 et 2015 qui est conforme à l’article 4(1) de la Loi, notant qu’il n’y a [traduction] « aucune preuve de vente commerciale sous forme de factures, de reçus, de dossiers de ventes, de documents d’expédition, d’imprimés montrant que le vin PORTILLO était vendu sur le site Web des régies des alcools au cours de ces années, ou de documents similaires qui permettrait d’établir ou de déduire qu’il y a eu un transfert [...] » (observations de l’Opposante, au para 51). Bien qu’une preuve comme des factures, des reçus, et d’autres documents soient certainement utiles pour établir l’emploi d’une marque de commerce en vertu de l’article 4(1) de la Loi, elle n’est pas obligatoire, et les documents fournis montrant le nombre de caisses et de bouteilles de vin PORTILLO expédiées par la Requérante à des clients au Canada sont suffisants pour établir qu’il y a eu un transfert des Produits avant le 2 décembre 2015. L’affidavit Engelenburg confirme également que la gamme de vins PORTILLO est vendue [traduction] « depuis plus de 10 ans » au Canada par la Requérante à diverses régies des alcools provinciales.
Conclusion concernant le motif fondé sur l’article 12(1)g)
[77] Étant donné que j’estime que la preuve de la Requérante est suffisante pour démontrer l’emploi de la Marque en liaison avec les Produits avant le 2 décembre 2015 (date à laquelle PORT a été ajouté à la liste des indications géographiques protégées), l’exception prévue à l’article 11.2(1)b) de la Loi s’applique. Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)g) est rejeté.
Motif d’opposition fondé sur l’article 38(2)e)
[78] L’Opposante a plaidé qu’à la date de production de la Demande au Canada, la Requérante n’employait pas et n’avait pas l’intention d’employer la Marque au Canada en liaison avec les produits indiqués dans la Demande, contrairement à l’article 38(2)e) de la Loi. La preuve produite par l’Opposante n’étaye pas ce motif, tout comme la preuve de la Requérante (comme discuté ci-dessus). De plus, l’Opposante n’a présenté aucune observation concernant ce motif d’opposition.
[79] Par conséquent, au moins parce que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial, le motif d’opposition fondé sur l’article 38(2)e) est rejeté.
Autres motifs d’opposition
[80] Étant donné que j’ai examiné trois motifs d’opposition et que j’ai tranché en faveur de l’Opposante à l’égard de l’un d’entre eux, je n’examinerai pas les autres motifs.
Décision
[81] Compte tenu de ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette la Demande d’enregistrement selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.
Jennifer Galeano
Membre
Commission des oppositions des marques de commerce
Office de la propriété intellectuelle du Canada
Traduction certifiée conforme
Anne Laberge
Félix Tagne Djom
Comparutions et agents inscrits au dossier
DATE DE L’AUDIENCE : Aucune audience tenue
AGENTS AU DOSSIER
Pour la Requérante : Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.