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Office de la propriété intellectuelle du Canada
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
Référence : 2025 COMC 36
Date de la décision : 2025-02-27
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
DANS L’AFFAIRE D’UNE OPPOSITION
Opposante : Consorzio Per La Tutela Del Formaggio Asiago
Requérante : Consortium for Common Food Names Holdings Inc.
Demande : 2071324 pour ASIAGO STYLE CCFN & Dessin
Introduction
[1] Consorzio Per La Tutela Del Formaggio Asiago (l’Opposante) s’oppose à l’enregistrement de la marque de commerce ASIAGO STYLE CCFN & Dessin (la Marque), laquelle fait l’objet de la demande no 2071324 par Consortium for Common Food Names Holdings Inc. (la Requérante). La Marque est reproduite ci-dessous.
[2] L’enregistrement de la Marque est demandé en liaison avec les produits [traduction] « Fromage ».
[3] L’opposition est principalement fondée sur une allégation selon laquelle la Marque n’est pas enregistrable parce que « Asiago » est une indication géographique protégée qui identifie un type de fromage.
Le dossier
[4] La demande d’enregistrement de la Marque a été produite le 16 décembre 2020. La demande a été annoncée aux fins d’opposition le 17 août 2022.
[5] Le 17 février 2023, l’Opposante s’est opposée à la demande en produisant une déclaration d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi). Les motifs d’opposition sont fondés sur la non-enregistrabilité en vertu des articles 38(2)b) et 12(1)h.1) de la Loi, le fait que la Requérante n’employait pas et ne projetait pas d’employer la Marque en vertu de l’article 38(2)e) de la Loi, et la mauvaise foi en vertu de l’article 38(2)a.1) de la Loi.
[6] La Requérante a produit une contre-déclaration indiquant son intention de répondre à l’opposition.
[7] À l’appui de son opposition, l’Opposante a produit une copie certifiée de la demande en cause et l’affidavit de John Adam Aucoin, souscrit le 3 août 2023, à Toronto (l’Affidavit Aucoin).
[8] À l’appui de sa demande, la Requérante a produit l’affidavit de Dulce Campos, souscrit le 4 décembre 2023, à Vancouver (l’Affidavit Campos), et l’affidavit de Bronwen Jamison, souscrit le 4 décembre 2023, à Vancouver (l’Affidavit Jamison).
[9] Aucun des déposants n’a été contre-interrogé.
[10] Les deux parties ont produit des observations écrites et étaient représentées à une audience.
Aperçu de la preuve de l’Opposante
Affidavit Aucoin
[11] M. Aucoin est un associé employé par l’agent au dossier de l’Opposante [para 1]. L’Affidavit Aucoin fournit ce qui suit :
·des détails de l’indication géographique no 1858648 pour « Asiago » [para 4, Pièce A];
·des détails des articles 114, 115 et 116, et de l’annexe 6 de la Loi de mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, LC 2017, ch 6 [para 5, Pièce B];
·des imprimés de pages provenant de ce qui semble être le site Web de la Requérante (mais ce que la Requérante conteste dans ses observations), commonfoodnames.com [para 6, Pièces C1 à C4];
·des imprimés de pages Web provenant de ce qui semble être divers sites Web de tierces parties concernant le fromage asiago vendu aux États-Unis [para 7 et 8, Pièces D1, D2, et E1 à E4];
·des imprimés du site Web de l’United States Patent and Trademark Office concernant la demande de marque de commerce américaine no 90106567 pour une variation de la Marque (c’est-à-dire sans l’élément « -STYLE ») [para 9, Pièces F1 à F5].
[12] Je note que M. Aucoin ne fait aucune déclaration de fond concernant la signification ou la pertinence de ces imprimés.
Aperçu de la preuve de la Requérante
Affidavit Jamison
[13] Mme Jamison est une bibliothécaire de droit, employée par l’agent au dossier de la Requérante [para 1]. L’Affidavit Jamison comprend essentiellement ce qui suit :
·des imprimés du site Web de récupération de documents de l’United States Patent and Trademark Office, tsdr.uspto.gov, concernant la demande no 77/073030, maintenant abandonnée, pour le mot « Asiago », produite au nom de l’Opposante [para 4, Pièce 1];
·un imprimé de l’entrée pour « Asiago cheese » [fromage Asiago] du site Web wikipedia.org [para 5, Pièce 2];
·un imprimé du site Web de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne concernant le [traduction] « Chapitre Vingt – Propriété intellectuelle, Sous-section C – Indications géographiques, Article 20.21 – Exceptions », provenant de l’adresse policy.trade.ec.europa.eu [para 6, Pièce 3].
[14] Je note que Mme Jamison ne fait aucune déclaration de fond concernant la signification ou la pertinence de ces imprimés.
Affidavit Campos
[15] Mme Campos est une recherchiste en marques de commerce employée par l’agent au dossier de la Requérante [para 1]. L’Affidavit Campos comprend essentiellement des imprimés des éléments suivants extraits du registre des marques de commerce canadiennes :
· une copie certifiée de l’enregistrement no LMC1150600 pour la marque de commerce FETA STYLE CCFN & Dessin, enregistrée au nom de la Requérante [para 4, Pièce 1];
· des copies certifiées de divers enregistrements de tierces parties pour des marques figuratives, enregistrées en liaison avec divers produits de boissons alcoolisées [para 5 à 12, Pièces 2 à 9];
· des détails de l’indication géographique no 849997 pour « Scotch Whisky » [whisky écossais] et de l’indication géographique no 1203996 pour « Irish Cream Liqueur » [liqueur de crème irlandaise] [para 13 et 14, Pièces 10 et 11].
[16] Je note que Mme Campos ne fait aucune déclaration de fond concernant la signification de ces enregistrements ou indications géographiques.
Fardeau de preuve et fardeau ultime
[17] Conformément aux règles de preuve habituelles, l’Opposante a le fardeau de preuve initial d’établir les faits sur lesquels elle appuie les allégations plaidées dans sa déclaration d’opposition [John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst)]. L’imposition d’un fardeau de preuve à l’Opposante à l’égard d’une question donnée signifie que, pour que cette question soit examinée, il doit exister une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question.
[18] En ce qui concerne les allégations à l’égard desquelles l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve, la Requérante a le fardeau ultime de démontrer que la demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi, comme il est allégué dans la déclaration d’opposition. Le fait qu’un fardeau ultime incombe à la Requérante signifie que, s’il est impossible d’arriver à une conclusion déterminante une fois l’ensemble de la preuve examinée, la question doit être tranchée à l’encontre de la Requérante.
Non enregistrable – motif fondé sur l’article 12(1)h.1)
[19] Dans le préambule des motifs d’opposition particuliers énoncés dans la déclaration d’opposition, l’Opposante plaide ce qui suit :
·L’Opposante est l’institution autorisée par le gouvernement de l’Italie à coordonner, à gérer et à protéger [traduction] « [l’]Appellation d’origine protégée ASIAGO (l’AOP ASIAGO) »;
·L’AOP ASIAGO identifie [traduction] « un fromage produit dans un territoire limité du nord-est de l’Italie en conformité avec les règles énoncées dans le cahier des charges pertinent »;
·Au Canada, le terme « Asiago » est protégé en tant qu’indication géographique (no 1858648) depuis le 21 septembre 2017 en liaison avec les produits « cheese » [fromages] et la description du territoire « Italy » [Italie];
·La protection du terme « Asiago » en tant qu’indication géographique a été accordée en vertu de la Loi de mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne;
·L’Opposante est une association d’utilisateurs autorisés de l’AOP ASIAGO, à savoir ceux impliqués dans les activités de production de lait, de fabrication de fromage, de vieillissement du fromage et/ou d’emballage en liaison avec l’AOP ASIAGO;
·L’Opposante est responsable, au nom de ses membres et à l’égard de tous les produits de fromage arborant l’AOP ASIAGO, d’offrir une protection contre l’adoption inappropriée de l’AOP ASIAGO au Canada.
[20] En conséquence, l’Opposante plaide que la Marque n’est pas enregistrable en vertu de l’article 12(1)h.1) de la Loi, qui met en œuvre l’article 20.19(6) de l’AECG entre le Canada et l’Union européenne, parce qu’elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée qui désigne un produit alimentaire et que l’enregistrement est demandé en liaison avec un produit alimentaire dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication géographique. À cet égard, l’Opposante plaide en outre que la Marque est constituée, en tout ou en partie, de l’indication géographique protégée Asiago (no 1858648), qui désigne un fromage dont le lieu d’origine est l’Italie, et que la Requérante demande l’enregistrement de la Marque en liaison avec un fromage dont le lieu d’origine n’est pas l’Italie.
[21] L’article 12(1)h.1) de la Loi prévoit ce qui suit :
12 (1) […] la marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants : […]
h.1) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un produit agricole ou un aliment appartenant à la même catégorie figurant à l’annexe que celle à laquelle appartient le produit désigné par l’indication géographique protégée dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication; […]
[22] L’article 11.2(3) de la Loi énonce les exceptions, comme suit :
11.2 […] (3) L’article 11.15 et l’alinéa 12(1)h.1) n’ont pas pour effet d’empêcher l’adoption, l’emploi ou l’enregistrement, comme marque de commerce en liaison avec un produit agricole ou aliment d’une catégorie figurant à l’annexe, d’une indication géographique protégée, ou de toute traduction de celle-ci, en quelque langue que ce soit, par une personne qui, de bonne foi, avant la publication de l’énoncé d’intention aux termes des paragraphes 11.12(2) ou (2.1) à l’égard de l’indication ou de la traduction :
a) soit a produit une demande conformément à l’article 30 en vue de l’enregistrement de la marque de commerce en liaison avec un produit agricole ou aliment appartenant à la même catégorie, ou a obtenu cet enregistrement;
b) soit a acquis par l’usage le droit à la marque de commerce en liaison avec un produit agricole ou aliment appartenant à la même catégorie.
[23] Cependant, comme discuté ci-dessous, ces exceptions relatives à l’enregistrabilité ne s’appliquent pas et n’étaient pas en cause en l’espèce.
[24] Dans leurs observations écrites et lors de l’audience, les parties ont également renvoyé à l’article 11.15 (concernant l’interdiction d’adoption d’une indication géographique), aux articles 11.17(3) et (4) de la Loi (qui établit certaines exceptions concernant l’emploi de certaines indications, y compris « Asiago »), qui se lisent comme suit :
Interdiction d’adoption : produit agricole ou aliment
11.15 (1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement :
a) une indication géographique protégée désignant un produit agricole ou aliment d’une catégorie figurant à l’annexe pour un produit agricole ou aliment appartenant à la même catégorie dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication géographique protégée;
b) toute traduction, figurant sur la liste tenue en application du paragraphe 11.12(1), de l’indication géographique protégée relative à ce produit agricole ou aliment.
Interdiction d’emploi
(2) Nul ne peut employer à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement :
a) une indication géographique protégée désignant un produit agricole ou aliment d’une catégorie figurant à l’annexe pour un produit agricole ou aliment appartenant à la même catégorie dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication géographique protégée ou adoptée en contravention avec le paragraphe (1);
b) toute traduction, figurant sur la liste tenue en application du paragraphe 11.12(1), de l’indication géographique protégée relative à ce produit agricole ou aliment.
Interdiction d’emploi
(3) Nul ne peut employer à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement :
a) une indication géographique protégée désignant un produit agricole ou aliment d’une catégorie figurant à l’annexe pour un produit agricole ou aliment appartenant à la même catégorie dont le lieu d’origine se trouve sur le territoire visé par l’indication géographique protégée, si ce produit agricole ou aliment n’a pas été produit ou fabriqué en conformité avec le droit applicable à ce territoire;
b) toute traduction, figurant sur la liste tenue en application du paragraphe 11.12(1), de l’indication géographique protégée relative à ce produit agricole ou aliment.
Emploi : certains fromages
11.17 […] (3) L’article 11.15 ne s’applique pas à l’emploi par une personne des indications « Asiago », « Feta », « Φέτα » (Feta), « Fontina », « Gorgonzola » ou « Munster », ou de toute traduction de celles-ci, en quelque langue que ce soit, à l’égard d’une entreprise si cette personne, ou son prédécesseur en titre, a employé ces indications ou la traduction avant le 18 octobre 2013 à l’égard d’une entreprise ou d’une activité commerciale relative à un produit agricole ou aliment de la catégorie des fromages, figurant à l’annexe.
Emploi de mots qualificatifs
(4) L’article 11.15 ne s’applique pas à l’emploi, à l’égard d’une entreprise, des indications « Asiago », « Feta », « Φέτα » (Feta), « Fontina », « Gorgonzola » ou « Munster », ou de toute traduction de celles-ci, en quelque langue que ce soit, relativement à un produit agricole ou aliment de la catégorie des fromages, figurant à l’annexe, si à la fois :
a) un qualificatif tel que « genre », « type », « style » ou « imitation » accompagne l’indication ou la traduction;
b) l’origine géographique du fromage figure bien en vue sur celui-ci ou sur l’emballage dans lequel il est distribué ou est de toute autre manière associée au fromage de telle sorte que la personne à qui il est transféré est informée de son origine.
[25] Comme l’a plaidé l’Opposante, je note que, le 21 septembre 2017, l’indication géographique « Asiago » a été inscrite dans la liste en liaison avec les produits « Cheeses » [fromages], avec comme description du territoire « Italy » [Italie] et comme autorité responsable « As per the Canada-European Union Comprehensive Economic and Trade Agreement Implementation Act / Selon la Loi de mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne ».
[26] Les parties conviennent que la date pertinente pour ce motif semble être la date de la présente décision [voir aussi, par analogie, Instituto Dos Vinhos Do Douro e Do Porto, IP c SALENTEIN ARGENTINA BV, 2024 COMC 225 au para 63], mais je note que l’analyse ci-dessous ne diffère fondamentalement pas si une date pertinente antérieure est prise en compte.
[27] Dans ses observations écrites, au paragraphe 42, l’Opposante cite la section 4.7.16 du Manuel d’examen des marques de commerce pour résumer le régime législatif applicable, comme suit :
Si la marque de commerce [visée par la demande] est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et la demande couvre les vins ou spiritueux dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication, ou si la demande couvre un produit agricole ou un aliment appartenant à la même catégorie que le produit agricole ou l’aliment désigné par l’indication géographique dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication géographique, la demande va à l’encontre des alinéas 12(1)g), h) et h.1) de la Loi, selon le cas.
Pour surmonter une objection soulevée en vertu des alinéas 12(1)g), h) ou h.1), le requérant doit confirmer par écrit que les produits proviennent d’un territoire visé par l’indication géographique.
[28] Renvoyant à la copie certifiée de l’historique du dossier de la demande en cause, l’Opposante note que, pendant le processus d’examen, le registraire n’a soulevé aucune objection en vertu de l’article 12(1)h.1) de la Loi, et que l’historique du dossier de la demande n’inclut aucune déclaration de la Requérante selon laquelle les produits [traduction] « Fromage » visés par la demande proviennent de l’Italie [observations écrites de l’Opposante au para 18].
[29] Lors de l’audience, l’Opposante a formulé l’hypothèse que, lors de l’examen de la demande en cause, le registraire s’est simplement trompé en ne soulevant pas d’objection et/ou en ne demandant pas la déclaration écrite de la Requérante selon laquelle les produits visés par la demande proviennent de l’Italie. Pour sa part, la Requérante a soutenu que le registraire ne s’était pas ainsi trompé en faisant valoir que la Marque visée par la demande ne donnait pas effectivement lieu à une objection en vertu de l’article 12(1)h.1) de la Loi, car la Marque n’est pas constituée, en fait, « en tout ou en partie », de l’indication géographique « Asiago ».
[30] À cet égard, dans ses observations écrites [para 32 à 34], la Requérante fait valoir ce qui suit :
· La Marque est un dessin unitaire composé qui comprend, en petite taille, la marque de commerce ou l’expression unitaire ASIAGO-STYLE;
· L’expression unitaire ASIAGO-STYLE représente moins de 20 % de l’ensemble de la [traduction] « marque de figurative visuelle composée » visée par la demande;
· ASIAGO-STYLE est conforme à l’exception prévue à l’article 11.17(4) de la Loi, qui autorise l’emploi de l’indication « Asiago » lorsqu’elle est employée en liaison avec un mot qualificatif comme « style »;
· Bien que cette exception concerne l’« emploi », la Loi [traduction] « est silencieuse en ce qui a trait à l’enregistrement, ce qui ne signifie pas que ce n’est pas un objet approprié »;
· l’enregistrabilité de la Marque [traduction] « est conforme aux marques récemment acceptées qui ont été enregistrées antérieurement dans des dessins composés unitaires similaires », notamment « feta-style », « blended scotch whiskey » et « Irish style cream liqueur »;
· L’état du registre des marques de commerce canadiennes [traduction] « mène à l’inférence selon laquelle non seulement les consommateurs, mais [aussi le registraire], se sont habitués à voir et à reconnaître que les marques figuratives composées acceptées et enregistrées dans les mêmes voies de commercialisation agricoles ou vinicoles ou de spiritueux peuvent coexister dans le registre ».
[31] À l’appui, l’Affidavit Campos joint des copies certifiées de neuf enregistrements de marque de commerce, y compris l’enregistrement no LMC1150600 pour la marque de commerce FETA STYLE CCFN & Dessin, enregistrée au nom de la Requérante. Je note que cette marque figurative enregistrée, reproduite ci-dessous, est similaire à la Marque visée par la demande :
[32] Cependant, comme discuté lors de l’audience, les circonstances entourant l’enregistrement de ces neuf marques de commerce n’ont pas été produites en preuve. Comme décrit ci-dessus, il existe des exceptions à la non-enregistrabilité des marques de commerce qui sont constituées, en tout ou en partie, d’une indication géographique. Ces exceptions peuvent avoir été appliquées dans ces affaires. Cependant, peu importe les circonstances, même si ces marques de commerce ont été enregistrées par erreur, c’est un principe reconnu que, si le registraire a commis une erreur par le passé, il n’y a aucune raison de perpétuer cette erreur [Worldwide Diamond Trademarks Limited c Canadian Jewellers Association, 2010 CF 309 au para 52; conf par 2010 CAF 326].
[33] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la preuve sur l’état du registre n’est d’aucune utilité pour la Requérante dans la présente procédure.
[34] Autrement, je suis d’accord avec l’Opposante que les arguments de la Requérante concernant la manière dont la Loi devrait être interprétée et appliquée en l’espèce devraient être rejetés. Que l’expression « ASIAGO-STYLE » soit définie comme unitaire ou non – et que l’élément STYLE soit interprété comme modifiant l’élément ASIAGO ou non –, il reste que la Marque est constituée, en partie, de l’indication géographique protégée « Asiago ». En effet, le libellé de l’article 11.17(4)a) de la Loi envisage qu’un mot qualificatif comme « style » peut être employé en liaison avec une indication, et non que la présence de l’indication est en quelque sorte annulée par le mot qualificatif.
[35] Comme indiqué ci-dessus, en l’espèce, les exceptions à la non-enregistrabilité ne s’appliquent pas. En outre, les exceptions concernant l’« emploi » ou l’« adoption » ne sont pas pertinentes pour déterminer l’enregistrabilité en l’espèce.
[36] Il s’ensuit que la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque est enregistrable au regard de l’article 12(1)h.1) de la Loi.
[37] Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur la non-enregistrabilité est accueilli.
N’emploie pas ni ne projette d’employer la Marque – motif fondé sur l’article 38(2)e)
[38] L’Opposante plaide qu’à la date de production de la demande au Canada, la Requérante n’employait pas ni ne projetait d’employer la Marque en liaison avec les produits spécifiés dans la demande. À cet égard, l’Opposante plaide en outre que la Requérante n’employait pas ni ne projetait d’employer la Marque pour les raisons suivantes :
·La Requérante n’a pas participé ni ne projetait de participer à la fabrication des produits visés par la demande;
·La Requérante ne possédait pas et n’exploitait pas, ni ne projetait de posséder ou d’exploiter, une installation au Canada où elle pourrait produire les produits visés par la demande ou à partir de laquelle elle pourrait distribuer ces produits;
·La Requérante n’avait pas conclu ni ne projetait de conclure une entente avec un distributeur au Canada pour distribuer les produits visés par la demande;
·La Requérante ne possédait pas ni ne projetait de posséder des installations ou le savoir-faire au Canada ou ailleurs nécessaires pour fabriquer les produits visés par la demande;
·La Requérante n’a pas établi ni ne projetait d’établir une liaison entre la Marque et les produits visés par la demande d’une manière qui constituerait un « emploi » en vertu de l’article 4 de la Loi;
·La Requérante n’a pas établi ni ne projetait d’établir une liaison entre la Marque et les produits visés par la demande, de sorte que la Marque serait employée comme marque de commerce au sens de l’article 2 de la Loi;
·La Requérante n’a pas adopté ni ne projetait d’adopter la Marque comme marque de certification, et plus précisément, la Requérante ne projetait pas d’enregistrer la Marque en vue d’accorder à d’autres des licences d’emploi de la Marque dans le but de distinguer ou de manière à distinguer des produits qui répondent à une norme définie de ceux qui n’y répondent pas.
[39] La date pertinente pour ce motif d’opposition est la date de production de la demande.
[40] À mon avis, ce type d’argument « fourre-tout » en vertu de l’article 38(2)e) de la Loi est à la fois inapproprié et insuffisant. Malgré les nombreuses allégations, l’Opposante n’a pas plaidé la façon dont la Requérante ne projetait pas ou n’aurait pas pu projeter d’employer la Marque. À cet égard, l’article 30(1) de la Loi prévoit ce qui suit :
30 (1) Une personne peut produire auprès du registraire une demande en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de produits ou services si elle emploie ou projette d’employer – et a droit d’employer – la marque de commerce au Canada en liaison avec ces produits ou services.
[41] L’effet de l’article 30(1) de la Loi est qu’un requérant projette nécessairement d’employer la marque de commerce visée par la demande s’il n’employait pas cette marque de commerce à la date de production de la demande. La question de savoir si un requérant « projette » de se livrer aux activités particulières invoquées ne relève pas de la portée de l’article 38(2)e) de la Loi. Suite aux modifications entrées en vigueur en juin 2019, l’article 30 de la Loi (« Contenu d’une demande ») a été largement modifié pour supprimer l’exigence d’inclure dans une demande, dans le cas d’une marque de commerce projetée, une déclaration portant que le requérant « a l’intention d’employer » la marque de commerce. Cela a éliminé l’expression « a l’intention de l’employer » de la Loi en faveur de l’expression et de la structure susmentionnées « projette d’employer ». À mon avis, il ne s’agissait pas de modifications superficielles ou simplement sémantiques, en particulier compte tenu du nouveau motif de la mauvaise foi qui peut être dûment invoqué pour aborder des questions, entre autres, de « squattage » ou de « trafic » de marques de commerce [voir, par exemple, Honor Device Co, Ltd c Shenzhen Honor Electronic Co, Ltd, 2024 COMC 49 au para 50; Mahindra & Mahindra Limited c Pawandeep Dhunna, 2024 COMC 129 au para 49; et Moca Loca Coffee Co Inc c Monster Energy Company, 2024 COMC 129 au para 92].
[42] En d’autres termes, l’absence d’une exploitation commerciale active au Canada n’empêche pas un requérant de projeter d’employer sa marque de commerce en demandant l’enregistrement de cette marque de commerce en vertu de l’article 30 de la Loi. L’article 38(2)e) de la Loi ne vise pas à examiner les projets commerciaux, le calendrier ou les façons dont le requérant emploieraient la marque de commerce projetée; à la date pertinente, le requérant n’a pas besoin d’avoir un plan d’affaires ou des ressources permettant de projeter l’emploi d’une marque de commerce. À cet égard, la définition d’« emploi » énoncée à l’article 4 de la Loi est large et, comme l’a souligné la Requérante, l’article 50 de la Loi envisage l’emploi d’une marque de commerce en vertu d’une licence. Je suis également d’accord avec la Requérante que le simple fait qu’il n’a [traduction] « pas encore mis en place de licenciés au Canada » pour employer la Marque n’est pas pertinent [observations écrites de la Requérante, au para 39]. Dans la mesure où le non-emploi est ou pourrait devenir un problème, des procédures de radiation en vertu de l’article 45 pourraient s’appliquer en temps voulu.
[43] Par conséquent, les arguments hypothétiques comme ceux-ci concernant l’absence alléguée de plan ou de ressources d’un requérant pour employer effectivement la Marque sont nécessairement insuffisants pour étayer un motif fondé sur l’article 38(2)e) de la Loi.
[44] Quoi qu’il en soit, la preuve de l’Opposante est bien loin d’établir le bien-fondé de ses arguments en vertu de ce motif.
[45] Étant donné que l’Opposante s’est dûment concentrée sur le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)h.1) lors de l’audience, il était en grande partie inutile pour les parties d’aborder en profondeur la valeur probante de la preuve de l’Opposante dans leurs observations. Cependant, je note d’abord que M. Aucoin ne fait aucune déclaration de fond à l’appui des allégations de l’Opposante en vertu de ce motif. En effet, dans la mesure où les pièces jointes à l’Affidavit Aucoin constituent principalement un ouï-dire, les critères de la nécessité et de la fiabilité ne sont pas satisfaits en l’espèce. Au mieux, M. Aucoin a démontré que les pages Web produites en preuve existent, mais l’Opposante n’a pas démontré la véracité de leur contenu.
[46] Même si j’acceptais que les imprimés de sites Web sont fiables, il n’est pas clair pourquoi l’Opposante a fourni sa preuve par l’intermédiaire de M. Aucoin plutôt que d’un représentant de l’Opposante, qui posséderait les connaissances nécessaires concernant les allégations de l’Opposante, telles que plaidées, et qui pourrait faire l’objet d’un contre-interrogatoire significatif. À cet égard, en règle générale, l’affidavit d’un employé de l’entreprise d’un agent n’est admissible que dans la mesure où la preuve porte sur des questions non controversées et non centrales [Cross Canada Auto Body Supply (Windsor) Limited c Hyundai Auto Canada, 2005 CF 1254, conf par 2006 CAF 133].
[47] Compte tenu de ce qui précède, à tout le moins, j’estime que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial en vertu de ce motif.
[48] Par conséquent, le motif fondé sur l’article 38(2)e) de la Loi est rejeté.
Mauvaise foi – motif fondé sur l’article 38(2)a.1)
[49] En vertu de l’article 38(2)a.1) de la Loi, l’Opposante plaide que la Requérante a produit la demande d’enregistrement de la Marque de mauvaise foi parce qu’elle a été produite dans le but de nuire aux droits de l’Opposante à l’égard de l’AOP ASIAGO, ainsi que dans le but de nuire à l’intention du Parlement d’adopter la Loi de mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. À cet égard, l’Opposante plaide en outre que la Requérante a produit la demande dans le but de promouvoir son agenda visant à protéger le mot ASIAGO en tant que nom d’aliment prétendument générique plutôt que dans l’intention sincère d’employer la Marque comme marque de commerce, notant que la Requérante se décrit comme une [traduction] « Initiative internationale pour préserver le droit d’employer des noms d’aliments génériques ».
[50] À mon avis, l’argument est insuffisant, car il ne mentionne pas la relation antérieure entre les parties ni l’obligation ou le devoir pertinent que la Requérante a envers l’Opposante; en l’absence d’une telle relation antérieure ou de l’existence d’un devoir, il n’est pas clair comment la requête peut constituer un acte de « mauvaise foi ». En l’absence de plus de renseignements sur le contexte (par exemple, une décision antérieure concernant les droits pertinents des parties par un tribunal compétent, un abus de procédure, le trafic de marques de commerce, etc.), un « agenda » concurrent ne constitue pas une demande produite de mauvaise foi.
[51] Quoi qu’il en soit, encore une fois, M. Aucoin ne fait aucune déclaration de fond à l’appui de ce motif d’opposition. En outre, toute inférence qui est censée être tirée des imprimés du site Web commonfoodnames.com est théorique, car les pages Web produites en preuve constituent une preuve par ouï-dire inadmissible en l’espèce. La preuve à l’appui d’un motif fondé sur la mauvaise foi est dûment fournie par une personne qui a connaissance des allégations de l’Opposante, telles que plaidées, et qui peut faire l’objet d’un contre-interrogatoire significatif.
[52] Compte tenu de ce qui précède, à tout le moins, j’estime que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial en vertu de ce motif.
[53] Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur la mauvaise foi est rejeté.
Décision
[54] Compte tenu de tout ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette la demande d’enregistrement selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.
Andrew Bene
Membre
Commission des oppositions des marques de commerce
Office de la propriété intellectuelle du Canada
Traduction certifiée conforme
Anne Laberge
Félix Tagne Djom
Comparutions et agents inscrits au dossier
DATE DE L’AUDIENCE : 2025-01-30
COMPARUTIONS
Pour l’Opposante : Jonathan Burkinshaw
Pour la Requérante : Trisha A. Doré et Jonathan Woolley
AGENTS AU DOSSIER
Pour l’Opposante : Smart & Biggar S.E.C.
Pour la Requérante : Richards Buell Sutton LLP