Contenu de la décision
Office de la propriété intellectuelle du Canada
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
Référence : 2025 COMC 179
Date de la décision : 2025-09-05
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
[1] 1178320 B.C. Ltd. (BC Ltd) demande l’enregistrement de la marque de commerce KONEHEDZ (la Marque), pour l’emploi en liaison avec les [traduction] « cônes de cannabis à fumer ». La demande de BC Ltd est opposée par Norkol Packaging LLC (Norkol) qui affirme, entre autres, que la Marque crée de la confusion avec sa marque de commerce employée antérieurement CONEHEAD.
[2] Pour les raisons qui suivent, la demande de BC Ltd rejetée.
Contexte
[3] La demande a été produite le 27 mai 2020 par une entité appelée « AJR Law ».
[4] Le 11 septembre 2023, Norkol a produit une déclaration d’opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi). Norkol a affirmé que AJR Law n’est pas la personne qui a droit à l’enregistrement de la Marque, que AJR Law n’employait pas et ne projetait pas d’employer la Marque et que AJR Law n’avait pas le droit d’employer la Marque.
[5] Le 11 octobre 2023, AJR Law a indiqué que son nom légal complet est AJR Law Corporation et a demandé que la demande soit modifiée en conséquence. À la même date, une cession de la demande de AJR Law à BC Ltd a été produite.
[6] À l’appui de l’opposition, Norkol a produit l’affidavit de Travis Lantz, souscrit le 29 février 2024 (l’Affidavit Lantz). M. Lantz est un copropriétaire de Norkol [para 1]. Il décrit Norkol comme un fabricant et vendeur d’un large éventail de produits d’emballage et papier, y compris des produits pour fumer et des emballages pour les produits pour fumer [para 6]. Il affirme que certains des produits de Norkol sont des cônes préroulés à remplir avec des produits de chanvre et de tabac fumables et sont vendus en liaison avec la marque de commerce CONEHEAD [para 7].
[7] M. Lantz affirme que Norkol a produit une demande pour enregistrer la marque de commerce CONEHEAD au Canada et que la présente demande était citée par rapport à celle de Norkol, en raison de la confusion entre les marques de commerce [Affidavit Lantz, aux para 8 à 10]. Cependant, M. Lantz affirme que Norkol emploie sa marque de commerce CONEHEAD au Canada depuis au moins février 2019, avant la production de la présente demande [para 11]. À l’appui de son affirmation, M. Lantz fournit des photos représentatives des produits de Norkol marquées avec la marque de commerce CONEHEAD [para 12 et Pièce F], une description des principaux clients canadiens de Norkol [para 14], des factures représentatives datées d’aussi tôt que le 28 février 2019 [Pièces G à K] et une estimation des volumes de ventes trimestriels de Norkol depuis 2019 [para 16].
[8] Norkol a également produit l’affidavit de Misato Kawasaki, souscrit le 4 mars 2024 (l’Affidavit Kawasaki). Mme Kawasaki est une adjointe administrative juridique avec les agents de marques de commerce de Norkol [para 1]. Elle fournit les résumés d’entreprise de la C.-B. pour AJR Law et BC Ltd [Pièces A et B]. Elle fournit également un imprimé du site Web de la Law Society of British Columbia contenant un profil pour l’avocate Ashley J. Ridyard [Pièce C]. De plus, elle fournit les résultats de recherches qu’elle a effectuées dans une base de données de cultivateurs, de transformateurs et de vendeurs autorisés de cannabis pour AJR Law, BC Ltd ou « Ridyard », qui n’a relevé aucun résultat [Pièce D].
[9] À l’appui de la demande, BC Ltd a produit l’affidavit de Jennifer Li, souscrit le 7 juillet 2024 (l’Affidavit Li). Mme Li est une directrice, cofondatrice et dirigeante principale de BC Ltd [para 1]. Elle affirme que BC Ltd se spécialise dans l’approvisionnement de cônes de papier préroulés qui agissent comme contenant pour le cannabis [para 4]. Elle affirme que BC Ltd a initialement fait affaire sous le nom commercial CONEHEADS, mais a changé pour le nom commercial KONEHEDZ au début de 2019 [para 5 et 6]. Mme Li fournit une copie d’un courriel qu’elle a envoyé pour le compte de BC Ltd le 13 février 2019, où le nom commercial KONEHEDZ était employé, ainsi que des copies de courriels de février 2019 où BC Ltd a mis à jour ses comptes Amazon et Instagram pour présenter le nouveau nom commercial KONEHEDZ [para 6 et 7 et Pièces C et E].
[10] En ce qui a trait à l’emploi de la Marque, Mme Li fournit des factures en exemple démontrant les ventes des cônes de cannabis de BC Ltd en liaison avec la Marque [para 10 et Pièce F]. La facture la plus antérieure de celles-ci est datée du 11 avril 2019. Elle fournit également des images représentatives de la page d’accueil et du compte Instagram de BC Ltd, lesquelles comprennent des images des cônes de cannabis de BC Ltd et de leur emballage arborant la Marque [para 11 et 12 et Pièces G et H].
[11] En ce qui a trait à la demande pour enregistrer la Marque, Mme Li affirme que sa compréhension est que [traduction] « [BC Ltd], par l’entremise de AJR Law comme agent » a produit la demande d’enregistrement de la Marque le 27 mai 2020 [para 8].
[12] En réponse à l’Affidavit Li, Norkol a produit l’affidavit de James Haggerty, souscrit le 8 août 2024 (l’Affidavit Haggerty). M. Haggerty est un recherchiste de marques de commerce avec les agents de marques de commerce de Norkol [para 1]. M. Haggerty fournit les résultats de recherches dans la base de données sur les marques de commerce canadiennes pour des entrées ayant l’un de plusieurs grands cabinets d’avocats en droit de la propriété intellectuelle étant soit l’ancien propriétaire, soit le propriétaire courant de la demande, chacune ne relevant aucun résultat [Pièces A à I]. Il fournit également les résultats de recherches pour des entrées ayant AJR Law comme soit l’ancien propriétaire, soit le propriétaire courant, ce qui a relevé trois résultats, y compris la présente demande [Pièce J]. Les recherches de M. Haggerty visent à démontrer que les cabinets d’avocats ne produisent pas des demandes d’enregistrement de marques de commerce en leur propre nom, pour le compte de clients.
[13] Aucun des déposants n’a été contre-interrogé au sujet de son affidavit. Les deux parties ont présenté des observations écrites et aucune audience n’a été tenue.
Motifs d’opposition
[14] Dans sa déclaration d’opposition, Norkol soulève les motifs suivants :
-
BC Ltd n’a pas le droit d’enregistrer la Marque, car, à la date de production de la demande et à la date du premier emploi de la Marque, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce CONEHEAD de Norkol, laquelle avait été antérieurement employée au Canada (le Motif fondé sur le droit à l’enregistrement).
-
À la date de production de la demande, AJR Law n’avait pas employé et ne projetait pas d’employer la Marque au Canada (le Motif fondé sur l’absence d’emploi ou d’emploi projeté).
-
À la date de production de la demande, AJR Law n’avait pas le droit d’employer la Marque au Canada, pour de multiples raisons (le Motif fondé sur le droit à l’emploi).
[15] En ce qui concerne chacun de ses motifs d’opposition, Norkol doit s’acquitter du fardeau de preuve initial de produire une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui des motifs d’opposition. Si ce fardeau initial est rempli, alors BC Ltd a le fardeau ultime de convaincre le registraire que, selon la prépondérance des probabilités, les motifs d’opposition ne devraient pas empêcher l’enregistrement de la Marque [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst)].
Raisons de la décision
Le Motif fondé sur le droit à l’enregistrement
[16] À l’égard de ce motif, Norkol invoque l’article 16(1)a) de la Loi qui prévoit ce qui suit :
16(1) Tout requérant qui a produit une demande […] en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce enregistrable a droit […] d’obtenir cet enregistrement […] à moins que, à la date de production de la demande ou à la date à laquelle la marque a été employée pour la première fois au Canada, la première éventualité étant à retenir, la marque n’ait créé de la confusion :
a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée […] au Canada par une autre personne […]
[17] Norkol affirme que la Marque crée de la confusion avec sa marque de commerce CONEHEAD, laquelle a été employée au Canada en liaison avec les produits suivants, avant la production de la demande ou le premier emploi de la Marque [déclaration d’opposition, aux para 6 et 7] :
[traduction]
Filtres; articles pour fumeurs, nommément filtres pour les produits de chanvre et de tabac pour fumer rouler manuellement; filtres faits de bambou; embouchures pour fumeur pour les produits roulés manuellement; filtres préformés pour les produits de chanvre fumables.
[18] Conformément à l’article 16 de la Loi, pour satisfaire à son fardeau de preuve initial concernant ce motif, Norkol doit établir qu’il a employé sa marque de commerce CONEHEAD au Canada soit avant que BC Ltd (ou son prédécesseur) ait employé sa Marque, soit avant la date de production de la demande, la première de ces dates. Si Norkol s’acquitte de son fardeau initial, alors BC Ltd doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne crée pas de confusion avec la marque de commerce CONEHEAD de Norkol.
Premier emploi de la Marque
[19] Norkol affirme que la date pertinente pour déterminer si elle s’est acquittée de son fardeau initial doit être la date de production de la demande, plutôt que la date de premier emploi de la Marque, le cas échéant [observations écrites de Norkol, au para 44]. Sinon, Norkol affirme que la date la plus antérieure possible de premier emploi de la Marque est le 11 avril 2019, la date de la facture la plus antérieure de BC Ltd démontrant la vente de ses produits.
[20] BC Ltd affirme que son emploi de la Marque a commencé en 2018, lorsqu’elle a employé pour la première fois CONEHEAD dans des courriels envoyés aux clients potentiels et sur une liste de produits [observations écrites de BC Ltd, aux para 28a) et b), citant l’Affidavit Li, au para 5 et aux Pièces A et B]. BC Ltd affirme que son emploi de CONEHEADS constitue l’emploi de la Marque, puisque CONEHEADS maintient les caractéristiques dominantes de la Marque, la prononciation de CONEHEADS et de la Marque est la même et la présentation et l’orthographe de CONEHEADS et de la Marque sont essentiellement les mêmes [observations écrites de BC Ltd, au para 31].
[21] Je n’accepte pas les affirmations de BC Ltd pour deux raisons. D’abord, je n’accepte pas que l’emploi par BC Ltd de CONEHEADS constitue l’emploi de la Marque. Même si la Marque et le mot CONEHEADS ont le même son lorsque prononcés, la Marque est un mot unique inventé, alors que CONHEADS est un mot courant du dictionnaire. J’estime que l’orthographe unique de la Marque lui accorde un degré plutôt important de caractère distinctif inhérent comparativement au mot courant CONEHEADS. Par conséquent, j’estime que l’orthographe unique de la Marque est une caractéristique dominante de celle-ci (voire la seule caractéristique dominante celle-ci) et forme une partie importante (voire l’entièreté) de l’identité de la Marque. Cette caractéristique dominante de la Marque n’est pas maintenue dans le mot CONEHEADS. Par conséquent, je n’estime pas que l’emploi de CONEHEADS constitue l’emploi de la Marque [selon Canada (Registraire des marques de commerce) c Cie International pour l’informatique CII Honeywell Bull SA (1985), 4 CPR (3d) 523 (CAF) et Promafil Canada Ltée c Munsingwear, Inc, 1992 CanLII 12831 (CAF)].
[22] Deuxièmement, même si je devais considérer que l’emploi de CONEHEADS constitue l’emploi de la Marque, la preuve n’appuie pas l’affirmation de BC Ltd que la marque de commerce CONEHEADS était employée en 2018. L’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des produits est défini aux articles 4(1) et 4(3) de la Loi. Les deux définitions nécessitent un transfert des produits et que la marque de commerce en question soit associée aux produits dans l’une des façons énoncées dans les définitions. Cependant, il n’y a aucune preuve qu’une quelconque vente ou autre transfert des cônes de cannabis de BC Ltd a eu lieu en 2018 en liaison avec CONEHEADS ou autrement. En effet, la seule preuve de 2018 est composée de courriels de BC Ltd à des clients potentiels où elle fait référence à elle-même par « Coneheads Canada » [Affidavit Li à la Pièce A] et une liste de produits intitulée [traduction] « Liste de produits 2018-2019 de Coneheads Victoria BC » [Pièces B]. La preuve ne démontre pas que BC Ltd a vendu ou autrement transféré l’un de ses cônes de cannabis en 2018. Par conséquent, la preuve ne peut pas démontrer l’emploi de la marque de commerce CONEHEADS en 2018.
[23] En plus de ce qui précède, BC Ltd souligne : a) le courriel du 13 février 2019 identifiant BC Ltd par KONEHEDZ [Affidavit Li, au para 6 et à la Pièce E]; et b) son site Web et son compte Instagram sur lesquels KONEHEDZ était présenté aussi tôt que le 13 février 2019 [para 11 et 12 et Pièces G et H]. Même si la preuve peut constituer l’emploi du nom commercial KONEHEDZ, elle n’établit pas la vente ou autre transfert d’un quelconque cône de cannabis de BC Ltd en liaison avec la Marque. Cela correspond au témoignage de Mme Li, puisqu’elle décrit l’emploi par BC Ltd du [traduction] « nom commercial KONEHEDZ » à plusieurs points dans son affidavit [voir, p. ex. les para 6 et 7]. Cependant, en l’absence d’un quelconque transfert de produits, la preuve ne démontre pas l’emploi d’une marque de commerce, comme le définit la Loi.
[24] La preuve la plus antérieure d’un quelconque transfert des cônes de cannabis de BC Ltd est une facture datée du 11 avril 2019 [Affidavit Li, Pièce F]. Je considère cette facture, accompagnée des images illustrant les cônes de cannabis de BC Ltd et les boîtes dans lesquelles ils sont expédiés, les deux arborant la Marque [Pièces G et H], comme suffisante pour démontrer que BC Ltd a employé la Marque au moins aussi tôt que le 11 avril 2019, conformément à l’article 4(1) de la Loi. Par conséquent, ce sera la date pertinente pour déterminer si Norkol s’est acquittée de son fardeau de preuve initial.
Fardeau initial de Norkol
[25] Norkol affirme que sa preuve démontre son emploi de la marque de commerce CONEHEAD au Canada depuis février 2019, avec sa facture la plus antérieure démontrant une vente de ses produits datée du 28 février 2019 [observations écrites de Norkol, au para 40]. BC Ltd affirme que la preuve de Norkol ne démontre pas l’emploi à un quelconque moment avant l’emploi par BC Ltd de la Marque [observations écrites de BC Ltd, aux para 18 à 25].
[26] J’accepte que les observations de Norkol sur ce point. La preuve de Norkol comprend des pages de son site Web et des photos de son produit, les deux illustrant l’emballage des produits de Norkol marqués avec sa marque de commerce CONEHEAD [Affidavit Lantz, Pièces e et F]. Cette preuve est représentative de la façon dont les produits de Norkol sont présentés depuis au moins février 2019 [para 12 et 13]. La preuve de Norkol démontre également qu’elle a vendu ses produits marqués avec la marque de commerce CONEHEAD au Canada, principalement aux entreprises de cannabis canadiennes, et inclut des factures représentatives démontrant de telles ventes [para 14 et Pièces G à K]. La plus antérieure d’une telle facture datée du 28 février 2019 [Pièce G]. Selon cette preuve, je suis convaincu que les produits de Norkol ont été vendus pour la première fois au Canada le 28 février 2019, ou environ, et, peu importe, avant le 11 avril 2019. Je suis également convaincu que la marque de commerce CONEHEAD de Norkol était arborée sur l’emballage de tels produits, conformément à la définition d’emploi de marque de commerce fournie à l’article 4(1) de la Loi. Même si les observations de BC Ltd soulèvent des lacunes dans chaque élément de la preuve de Norkol, la preuve, considérée dans son ensemble, démontre clairement l’emploi avant le 11 avril 2019 et est suffisante pour permettre à Norkol de s’acquitter de son fardeau de preuve initial.
Confusion
[27] Puisque Norkol s’est acquittée de son fardeau initial, BC Ltd a le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne créait pas de confusion avec la marque de commerce CONEHEAD de Norkol à la date de premier emploi de la Marque. Norkol fait valoir que BC Ltd ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime, puisqu’il existe une probabilité de confusion entre les marques de commerce des parties [observations écrites de Norkol, aux para 46 à 75]. BC Ltd n’a fait aucune observation concernant la question de la confusion en raison de sa position que Norkol ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial [observations écrites de BC Ltd, au para 17].
[28] Pour les raisons qui suivent, je ne suis pas convaincu que BC Ltd s’est acquittée de son fardeau ultime de démontrer que la Marque ne crée pas de confusion.
[29] Une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région sera susceptible de faire conclure que les produits ou les services liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail, loués ou exécutés (selon le cas), par la même personne [articles 6(1) et (2) de la Loi]. La question de la confusion doit être considérée comme une question de première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue de la marque de commerce visée par la demande alors qu’il n’a qu’un souvenir imparfait de la marque de commerce de l’opposant. Ce consommateur ordinaire et pressé ne s’arrête pas pour examiner la question en profondeur ni pour étudier de près les ressemblances et les différences entre les marques de commerce [Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 au para 20].
[30] L’application du test en matière de confusion est un exercice qui consiste à rechercher les faits et à tirer des conclusions [Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 au para 102 (Masterpiece)]. Toutes les circonstances de l’espèce doivent être évaluées, y compris celles énumérées à l’article 6(5) de la Loi, nommément :
-
le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues;
-
la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage;
-
le genre de produits, services ou entreprises;
-
la nature du commerce;
-
le degré de ressemblance entre les marques de commerce, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent.
[31] Compte tenu de toutes les circonstances ci-dessus, comme question de première impression dans l’esprit d’un consommateur ordinaire, je ne suis pas convaincu qu’un tel consommateur ne conclurait probablement pas que les produits des parties proviennent de la même source. Le degré de ressemblance entre les marques de commerce, lequel est susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion [Masterpiece au para 49], est élevé. Les marques de commerce des parties sont plutôt semblables dans la présentation, ayant en commun un bon nombre de lettres. De plus, les marques de commerce des parties sont identiques dans le son et les idées suggérées. Ce degré généralement élevé de similarité suggère fortement que les marques de commerce des parties créent de la confusion.
[32] Les marques de commerce sont également employées essentiellement avec des produits identiques, nommément des cônes de papier roulés pour remplir avec du chanvre ou du tabac fumables ou pour l’emploi comme contenant pour du cannabis [Affidavit Lantz, au para 7; Affidavit Li, au para 4]. De plus, les produits des deux parties sont vendus à d’autres entreprises de cannabis au Canada pour être remplis de cannabis [Affidavit Lantz, au para 14; Affidavit Li, au para 4]. Par conséquent, le genre des produits et la nature du commerce suggèrent fortement que les marques de commerce des parties créent de la confusion.
[33] Aucune des autres circonstances de l’espèce ne favorise substantiellement BC Ltd, de façon à réduire la probabilité de confusion. Même si j’estime que la Marque possède un plus grand caractère distinctif inhérent, à la lumière de l’orthographe unique de la Marque pour le mot « Coneheads », la preuve suggère que la marque de commerce CONEHEAD de Norkol est devenue connue au Canada dans une plus grande mesure. Plus particulièrement, Norkol a vendu plus de 30 millions de cônes par trimestre depuis 2019 [Affidavit Lantz, au para 16]; en revanche, BC Ltd a vendu seulement 90 millions de cônes au total depuis 2018 [Affidavit Li, au para 10]. Dans l’ensemble, j’estime que le caractère distinctif inhérent et acquis des marques de commerce des parties ne favorise aucune des parties dans une mesure importante. En ce qui a trait à la période d’emploi, puisque Norkol a commencé à employer sa marque de commerce moins de deux mois avant BC Ltd, ce facteur ne favorise aucune des parties d’une façon substantielle.
[34] Compte tenu de tout ce qui précède, il semble exister à tout le moins une probabilité égale que les marques de commerce des parties créent de la confusion au sens de l’article 6 de la Loi. En l’absence d’observations sur cette question de la part de BC Ltd, je ne suis pas convaincu que la Marque ne crée pas de confusion avec la marque de commerce CONEHEAD précédemment employée par Norkol. Par conséquent, BC Ltd ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime et le Motif fondé sur le droit à l’enregistrement est accueilli.
Le Motif fondé sur l’absence d’emploi ou d’emploi projeté
[35] À l’égard de ce motif, Norkol invoque l’article 38(2)e) de la Loi et allègue que, à la date de production de la demande, AJR Law (la requérante à l’époque) n’employait pas et ne projetait pas d’employer la Marque en liaison avec des cônes de cannabis pour fumer [voir la déclaration d’opposition, au para 10]. Norkol plaide deux autres scénarios de fait possibles à l’appui de cette allégation :
-
« AJR Law » (la requérante nommée à l’origine dans la demande) n’est le nom d’aucune entité juridique et, par conséquent, ne pouvait pas employer ou projeter d’employer la Marque [déclaration d’opposition, au para 11];
-
AJR Law est une entité qui offre des services juridiques et [traduction] « n’a pas le droit légal de vendre, n’offre, n’annonce et ne vend pas et n’a jamais eu l’intention de bonne foi d’offrir, d’annonce ou de vendre » des cônes de cannabis au Canada [déclaration d’opposition, au para 12].
[36] La modification du nom de la requérante pour « AJR Law Corporation » est une réponse complète au premier scénario de fait. La preuve établit que le nom complet de AJR Law est « AJR Law Corporation » et qu’il s’agissait d’une entité juridique valide et existante à la date de production de la demande [voir l’Affidavit Kawasaki, Pièce A].
[37] En ce qui a trait au deuxième scénario de fait, Norkol fait valoir que, bien que l’Affidavit Li suggère que AJR Law a agi comme agent pour BC Ltd lorsqu’elle a produit la demande, il n’y a aucune preuve directe d’une relation d’agence entre BC Ltd et AJR Law [observations écrites de Norkol, au para 83]. Également, ni AJR Law ni sa directrice Ashley J. Ridyard ne sont des agents de marques de commerce, comme il est requis pour représentant une autre personne dans toute affaire présentée au Bureau du registraire des marques de commerce [para 87, citant l’article 25(1) du Règlement sur les marques de commerce, DORS/2018-227]. De plus, il n’y a présentement aucune pratique de cabinets d’avocats canadiens produisant des demandes pour le compte de client et cédant les enregistrements subséquents à leurs clients et permettre une telle pratique représente une [traduction] « vague de changement » dans le droit des marques de commerce canadien [para 88, citant l’Affidavit Haggerty].
[38] BC Ltd fait valoir que, puisque AJR Law a produit la demande pour le compte de BC Ltd, dans le cadre d’une relation d’agence, BC Ltd était toujours le [traduction] « propriétaire bénéficiaire et le demandeur de droit » de la demande [observations écrites de BC Ltd, au para 37]. BC Ltd fait également valoir que se concentrer uniquement sur le fait que AJR Law était nommée à l’origine comme requérant est injuste à la lumière de l’emploi antérieur par BC Ltd de la Marque et minera les droits de marque de commerce du propriétaire de droit de la Marque à partir d’un [traduction] « problème technique mineur » [para 38 et 39]. Selon l’observation de BC Ltd, l’analyse de ce motif doit seulement déterminer si BC Ltd, le requérant actuel, n’employait pas et ne projetait pas d’employer la Marque à la date de production de la demande [para 40].
[39] BC Ltd ne cite aucune jurisprudence pour appuyer sa position. En effet, cette position va à l’encontre de la jurisprudence établie que les demandes d’enregistrement de marques de commerce ne peuvent pas être produites au nom d’entités [traduction] « prête-nom » pour le compte d’une autre, puisqu’un tel prête-nom n’employait et ne projetait pas d’employer la marque de commerce au Canada [voir Dollar General Merchandising, Inc c R Steinberg, 2009 CanLI 90472 (COMC); voir également Cellular One Group, a partnership c Bell Mobility Cellular Inc, 1996 CanLII 11378 (COMC)]. Même si ces affaires ont été tranchées en vertu de l’article 30e) de la Loi dans sa version antérieure au 17 juin 2019, les principes qui découlent de telles affaires peuvent être instructifs à l’égard des motifs d’opposition soulevés en vertu de l’article 38(2)e) de la Loi [Shopify c Ubeing Mobility Ltd, 2024 COMC 75].
[40] Plus particulièrement, les affaires de Dollar General et Cellular One Group, citées ci-dessus, ont été tranchées en fonction de l’exigence antérieure de la Loi que les requérants déclarent leur intention d’employer une marque de commerce et l’exigence implicite que cette déclaration soit vraie. Même si la Loi n’exige plus une telle déclaration, elle exige tout de même que les requérants emploient ou projettent d’employer la marque de commerce comme condition préalable pour produire la demande [voir l’article 30(1) de la Loi]. Par conséquent, la question de savoir si un requérant a réellement employé ou projetait réellement d’employer la marque de commerce au moment de la production demeure pertinente et le raisonnement de Dollar General et Cellular One Group concernant les requérants [traduction] « prête-noms » s’applique autant aujourd’hui qu’à l’époque.
[41] En l’espèce, je suis convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, AJR Law a agi de façon inadmissible comme requérant de marque de commerce [traduction] « prête-nom », comme les requérants dans Dollar General et Cellular One Group. Au paragraphe 8 de son affidavit, Mme Li affirme que BC Ltd [traduction] « a commencé à travailler avec AJR Law au printemps de 2020 afin d’entreprendre […] la protection de la [Marque] » et qu’elle comprend que BC Ltd a demandé l’enregistrement de la Marque [traduction] « par l’entremise de AJR à titre d’agent ». Compte tenu de la preuve de Mme Li, j’estime qu’il est plus probable que pas que BC Ltd ait engagé AJR Law pour produire la demande pour son compte et que AJR Law a produit la demande pour le compte de BC Ltd, mais sous son propre nom. Dans de telles circonstances, je ne suis pas convaincu que AJR Law proposait d’employer la Marque lorsqu’il a produit la demande. J’estime qu’il est plus probable que AJR Law a produit la demande plutôt au profit de son client BC Ltd, lequel employait déjà la Marque à cette époque.
[42] Les observations de BC Ltd, soulignées ci-dessus, ne sont pas convaincantes. Malgré la production de la demande par AJR Law, BC Ltd est toujours libre de produire une autre demande pour la Marque en son propre nom. Si BC Ltd avait employé la Marque au Canada avant la date de production, comme elle le revendique, alors son droit à l’enregistrement de la Marque serait gouverné par sa date de premier emploi, peu importe le moment auquel la demande a été produite [voir l’article 16(1) de la Loi]. Par conséquent, aucune perte de droit ne découlera uniquement de l’exigence que BC Ltd produise sa demande d’enregistrement de marque de commerce sous son propre nom.
[43] Par conséquent, en l’absence de toute suggestion que AJR Law employait la Marque à la date de production de la demande, et à la lumière de ma conclusion que AJR Law ne projetait pas d’employer la Marque à cette date, le Motif fondé sur l’absence d’emploi ou d’emploi projeté est accueilli.
Le Motif fondé sur le droit à l’emploi
[44] Puisque deux motifs d’opposition séparés de Norko ont déjà été accueillis, il n’est pas nécessaire d’examiner le Motif fondé sur le droit à l’emploi.
Décision
[45] Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je rejette la demande selon les dispositions de l’article 38(12) de la Loi.
Jaimie Bordman
Membre
Commission des oppositions des marques de commerce
Office de la propriété intellectuelle du Canada
Traduction certifiée conforme
William Desroches
Manon Duchesne
Comparutions et agents inscrits au dossier
DATE DE L’AUDIENCE : Aucune audience tenue
AGENTS AU DOSSIER